Instruments pour
quelle réalisation ?
«Instruments humains » (comme dit Vittorio Sereni).
Hélène (d’abord – et décisivement, pour tout ce qui aura touché à
l’administration préfectorale, redoutable, voire haineuse à Orléans) et moi.
Parfois nos fils (en particulier pour Paris). Et les amis : Jinjia,
Masatsugu, etc.
Instruments encore, autrement : la maison et le jardin ; les
rues d’Orléans ; le tram, le bus, et le train. Et la Loire.
Tout faire sonner, parfois, pour quel soulèvement ?
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Parler-user des instruments d’ici (ici texte ici lieux), au sens d’un
artisanat musical. Au sens de ce qui était là, à portée de main ou de ce que
nous avons fabriqué et rapetassé, peu à peu, lui et moi, un peu lourdement,
dans la cuisine, dans le jardin (presque aussi souvent), ou encore dans les
rues (ou sur les berges de la Loire).
Cette maison même en tant qu’instrument (quasi musical)… : lieux,
distinctions nécessaires, escalier, etc.
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Instruments, les lieux dans la maison
dont Auden (Action de grâces pour un
habitat, trad. Jean Lambert) dit somptueusement la différenciation, les
moments, les rôles :
Les pièces où nous parlons et travaillons
semblent toujours blessées
Quand nous faisons nos malles, quand, sans avertir,
Nous arrivons la nuit, ouvrons et allumons,
Elles semblent déconcertées...
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Instrument, cette ville (familière
pour moi depuis toujours, depuis son illumination par les bombardements de
1944) ?
Mais impossible, ces temps-ci (2010-2012), de ne pas la savoir – ou sentir – comme vue-tenue par d’autres
présences, par des décisions d’une tout autre nature que les nôtres, et que la
police rend partiellement effectives et visibles.
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Et dans les rues : ce qu’on voit. Mais aussi ce qu’on ne voit pas – ou
plus.
Celui que je voyais jadis, avant qu’O. ne soit ici, et dont j’ai parlé dans Papiers ! comme d’un homme chamarré
et gelé..., je ne le vois plus.
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Par moments, O. est lui-même fermé – comme, à la fin de la guerre à Orléans,
après les bombardements, une de ces fenêtres qu’obstruaient des planches
clouées à l’intérieur. Je le lui dis. Il rit. Le rire nous est un autre
instrument.
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Des moments-récits, il le faut,
cristallisent dans l’élément de l’entre...
angles tranchants... il faut qu’ils pivotent cruellement et s’ensanglantent
... la pointe où tourne et crisse chacun d’eux est un instant qui ne pourra
s’épuiser
..........
La part de la poésie (dans cette tentative de conversation dont on ne peut
deviner comment elle s’arrêtera) serait-elle de retomber toujours dans une
immersion élémentaire où O. et moi ne parlons plus que bouches au ras d’une
surface qui par vagues coupe le souffle ?
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Le « sentimentalisme », ici, pourquoi s’en défier ? Ce n’est
pas qu’il y ait à rejeter (en se perchant dans quelque au-dessus) les émotions.
Simplement, si les sentiments s’affichent, c’est aussitôt pour se rendre
indiscutables.
Grossièreté tyrannique… La glu d’un unanimisme (idéologie télé) sans coût ni
portée.
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Qu’est-ce qui, tout de même, aura pu lui être donné par la fatigue, la peur et
les humiliations, les rejets ou abandons... ?
Avec l’aide de phrases à former encore et encore, un peu de son parcours
pourrait-il lui être rendu, terre et désert, Méditerranée, village et
villes..., îles d’un fleuve... ?
« Je n’ai pas osé parler à ma famille de tout ce que j’ai
subi » : c’est (à un mot près : « subi ») ce qu’il m’a
dit à son retour du Soudan, début octobre 2012.
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À moi, le don de l’âge : des
cloisons internes de chair brunes invisibles dans le cœur se désagrègent.
Réaliser, dans des mots comme ceux-ci, la fonte de vieilles parois
intérieures :
la voici, enfin, la brusque, l’inespérée marée rose crépitante de
possibilisations…, la fécondité in
extremis.
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