François Montmaneix a publié récemment Laisser Verdure* aux éditions du Castor Astral. Le livre comporte
une préface, qui est en fait un véritable petit essai de près de 20 pages, d’Yves
Bonnefoy, où ce dernier revient sur les grandes thématiques qu’il creuse ces
dernières années, la défiance envers la conceptualisation, la question des
correspondances (au sens baudelairien), le rapport au monde et au réel.
J’essaie de me parler d’avant
d’un temps de bœufs rentrant couverts de brume
de cris d’enfants d’abois
dans les pattes des bêtes besogneuses
de la chaleur du vin du sucre des pommes
Je suis seul et la terre est obscure
je contemple le ciel plein d’étoiles
une feuille morte s’en détache
je relève le col de ma veste
en m’éloignant étrangement
Est-ce du même pas
que jadis le fermier
sans ses clés sans se retourner
○
Surplace
Fasciné je demeure
à l’aplomb du faucon en son point fixe
plus céleste que le ciel
qui lui inspire
de simuler le Saint-Esprit
avant une plongée
qui clouera le vertige au vol
Je m’en remets à lui pour la joie
durant le reste de ma chute
là-dessus il en remontrerait
à toutes les extases réunies
par les grands ou les petits prêtres
en conclave dans les antichambres
d’un avenir lassé
de parier sur l’éternité
Je suis sûr qu’il éprouve
plus de bonheur l’instant d’un seul piqué
que dix mille hommes heureux
aux longs cours de dix mille vies
qui feraient bien de regarder en l’air
passer un temps qui n’arrête jamais
d’être immobile
○
le
soleil des eaux
Arrivé trop vite au bord de la mare
je fais plonger une grenouille
et croître un cercle qui ne se gêne pas
de se prendre pour le soleil
en élargissant son empire
à la dimension de toute la mare
sans même se rendre compte
qu’en l’étendant il le dissout.
Et je songe qu’à l’échelle
des temps de l’univers
cet empire aquatique et parfait
aura duré aussi longtemps
que celui d’Alexandre le Grand
ôté du soleil par Diogène
celui de Charles Quint
avec son soleil insomniaque
celui de Napoléon plus
solaire que Louis XIV soi-même
celui de Pharaon (lequel ?)
ou de l’empereur Qin
entassant autour d’eux dans leurs tombes
de quoi survivre au dernier des soleils
et je lis sur la mare à livre ouvert
que le plongeon d’une grenouille
sautant du nénuphar immémorial
produit autant de temps
que la vie des plus grands conquérants
mais le batracien garde un avantage
incommensurable : il ignore tout
de ce qu’est le dur désir de durer
François Montmaneix, Laisser Verdure,
Le Castor astral, 2012, pp. 44, 48 et 81
François Montmaneix dans Poezibao :
bio-bibliographie,
ext.
1, ext
2
*Le titre est emprunté à George Sand dont ce furent les derniers mots, avant
de mourir.
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