L’ANIMALERIE
Juste au bout de mes doigts : là, dans le prolongement de mes ongles, tous les animaux
s’élancent, ils crient sans colère, ils chantent sans musique, < ils sont l’inhumain
de mon corps >, seule leur expression est la mienne, seule féroce et complice,
ils sont l’inhumain de mes jambes et de mes veines :::: là, juste au bout de mes
doigts, homme libre, tu vivras, tu verras ces animaux relâchés, renards, saumons, pies à tête de buffle, oie à cou de serpent, regarde, cet homme à
tête de biche, il est un animal, tout ceux-là, tu les verras à toute allure,
courant, nageant, formation assurée de ton corps, ta vie soutiendra ici tout
son sens, un mur en action, un mur de panthères feulant avec la voix incluse
dans ton corps, un mur avançant avec ton corps en mutation, ce mur te tient et
te constitue : toi qui formes une excroissance incertaine au milieu des reliquats
du vivre, tu l’aimeras, tu aimeras cette vie, cette folle traversée sans
travers, sans amer, sans l’idée de perte, entre les temps, l’idée du refuge
s’oppose aux mains trop pleine d’animaux, de l’identité, oui, de l’identité
nous en verrons l’ensemble, mon nom sera le cri sans colère, le hurlement simple
de la vie, le cri sans musique, tous ces animaux rugissant, aimant, filant, de ma
vie, je jette les chats, les hurleurs et les loups, sans point pour se
repérer, je parlerai à la vie antérieure, du hibou parleur au ventre parlant,
homme libre, je te parlerai car je serai ton accident merveilleux, nous nous
aimerons, tu verras que l’immensité, dans l’espérance, apparaît comme offrande,
de la joie qui ramène aux cendres
perpétuelles, la bave du chien, oui, la bave du chien sur la poussière, coulant, tu
verras que le changement se fait dans ton corps, respire, oui !, sens cette âme : sens au fond de ton ventre
cette troupe de chimpanzés rigolants et courants, dans ton ventre la vie s’étend, point sans fin, point sans
forme, de la joie qui tend la toile et souffle sur la fumée, signe de la brûlure,
le bois encore chaud, à peine disparu, l’animal viendra, doux et fort, émancipé,
après l’arche, le berger viendra nous chercher il n’aura plus de bête, elles seront
nôtres ! le berger, dans son corps se trouveront les
bêtes, les mains parlantes s’ouvriront, coriaces et fortes, féroces et impies,
une gourde trop pleine, l’émancipé n’aura plus à écrire, pour ne plus écrire,
il ne faut plus écrire, mes mots auront le sens de la joie unique, son corps
s’écrira dans la trace, sa salive dira les mots et les morts renoncés car il faut renoncer à l’idée de départ, ours réfléchissants puis marchant sur le
tremblement, je serai l’effet !, dans les nœuds des secondes, au creux des vagues,
au creux des temps, entre les reins ma folie s’évapore, les animaux sont le signe
de ton existence, nous nous aimerons, l’idée sera toujours seconde, le reste
est folie, cette folie t’enivre et au cœur de ton cœur les échos se répondent et
ta voix prend l’allure d’une armée de chiens furieux, l’émancipé prendra ce
vent vertueux soufflé par l’éclair ténu mais possible de la joie, la seule
chose possible demeure en cet instant, en cette vie donnée, < tu es
l’accident ! >, là, juste au bout de mes doigts : là, dans le
prolongement de mes ongles, tous les animaux s’élancent, tu es l’accident, les
animaux dans ta main viendront boire cette eau faite par la déchirure, ils
viendront te boire et tu les enivreras, tu seras l’accident, pauvre félin à qui
je ne donnais plus aucune eau, tu te rassasies, là, dans mes membres, tu seras
simple, nous nous aimerons, tu n’aimeras plus la déchirure, fille de la joie, les
animaux puissants aborderons la vie, les rives d’un ailleurs imposé, mon
délicieux amour, tu sauras qu’il n’est pas, qu’il n’est plus nécessaire de se
rendre au délicat tremblement de l’espérance, les postures dans l’animalerie
n’auront que le sens de la fiction, celle qui est toujours seconde, mes mains
tendues passeront leur temps, se développeront comme une croissance animale,
intérieurs parmi les extérieurs, il n’y aura plus d’espérance, les dauphins du Nil
: imaginons-les, il ne sera plus nécessaire d’être aidé, la joie pleinement
parlera dans ta voix, mille sifflements, l’avancée sur le chemin, les dauphins dans le prolongement de tes bras, sorts jetés à tout va, l’animalité !, oui,
l’animalité, bras armés des plus délicieux fruits du vivre, mon amour
délicieux, nous verrons que la dignité perce tous les voiles du temps séparateur,
tu accepteras le noir, l’ébène mystique, tu sauras que d’espoir, il n’y en a qu’un,
celui d’entrevoir la possibilité du choix, homme libre, ce qui te prendra ne pourra
plus être la mort car dans l’image, il n’y aura plus aucun désespoir, dans
l’image tu verras les renards, les bisons, les hermines, tous ces animaux
courant à pleine vitesse, ta voix prendra un ton étrange, celui de l’infortune
et du hasard ! tu feras sans cesse l’apologie de cette vie, non la tienne mais
celle qui demeure, la persistante dans l’économie sereine des corps et des
âmes, tu jappes et bourdonnes, sautes et frappes, musculeux dans l’économie
sereine de tes dépenses, de la proximité que tu entretiens avec le fleurissement
des végétaux éternels, tu seras garant de la dignité restaurée, tu seras l’amant des ressources et des possibilités d’un ailleurs toujours à
respecter, tu seras l’expression même du devenir joyeux, mon amour délicieux,
il sera partout question de l’autre insondable car la liberté ne peut embrasser
que la joie, homme libre, tu verras l’immensité toute tendue contre le cœurs
des uns et des autres mêlés, tu seras parents des temps concentrés dans
l’expression des vies, tu seras l’âne et le corbeau puissant, l’aigle et le vers disgracieux, de jugement tu n’auras que celui qui absorbe
tes mouvements dans la joie, les chatouillements et les vacillements du corps
seront rejetés comme diable en aval, la parole donnée sera source de
rafraichissement, les mains fortes donneront à boire, non dans la charité,
seulement dans l’expression du vivre là dans ça, en son corps, en son temps, homme libre, tu ne
craindras plus l’accident, tu
seras l’accident, l’éclair de l’accident. Et nous nous aimerons quand bien même il serait trop
tard.
Uns, préface de Jean-Luc Nancy ; Illustration de
Winfried Veit, Le Castor Astral, 2011,
pp. 95-98
○
L’espèce (partie 1, extrait)
L’espèce nous signale
L’espèce nous indique
J’ai préféré habiter l’espèce
Par vœu d’antichambre
Tous les luxes sont permis
Par vœu de ce qui précède
Je suis ce qui me précède.
Et je vois l’absence à reculons.
Et j’ai préféré habiter l’espèce
Et je vois l’absence à reculons.
C’est pourquoi, je ne veux plus dire,
Ni les espoirs ni les bêtes
Ni les trames ni les espèces
Ce serait trahir
La vie que de la manifester
En surplus
Ce serait la trahir
Ce serait la prendre à contre-pied
Imaginer que l’espèce est faite comme la volonté
Ainsi faite jamais avortée
Ainsi faite toujours devant alors que
Le museau du rat contre la paroi
C’est la vie qui se décline ici dans ça
Percée du museau dans l’existence
Ce serait la trahir que d’imaginer l’encre là-contre
En arrière je me suis niché
Chien en deuil, Carpates sauvages
Ma truffe a des espoirs de liberté
Envieux du rat dans sa moustache
Certains font du deuil le rythme de l’absence
Je la vois à reculons
Le rythme de la patience,
Il faut dire pour faire de l’entretemps
Et s’il ne fallait plus rien dire que les signes sans trace
Seuls les signes dissimulent
Eux seuls percent la vie d’une seconde vie
Seuls les signes forcent l’existence
Il n’y a pas d’arts, seule vanité
Les moustaches du rat le disent
Contre la paroi, bien avant, seul,
Mer, le mouvement est en contre-jour,
Seul, la perle me figure, poussée contre,
L’effort dit bien qu’il ne faut plus rien dire que l’étreinte
L’effort dit bien qu’il n’y a plus de lieux sous la paroi
Et je vois l’absence à reculons.
S’il ne faut plus dire le panthéon
Le rat ou la sentence
S’il faut attendre des signes
L’absence de voix, la vérité du silence,
La nichée du chien là-contre
La présence, mes mains disent
À elles seules, la brûlure contre la paroi,
La mer emplit le verre où se trouve le rat
À reculons
Nichés dans l’obscure contraction de l’être,
Le chien et la pleureuse s’animent contre l’œil vitreux
La pleureuse obscurcit dans l’âme
Ce qu’il reste d’avant, d’attaque et de
Mains faisant
La pleureuse dit dans l’âme
Le corset d’espaces occupés
Car il s’agit bien d’occupation
Et de taille de l’âme
Format d’êtres, ô combien disposés dans l’espace,
Le pluriel est impératif pour dire
Sauf l’âme du rat qui est seule et mince
Faudra-t-il le dire ?
La terre est cette pieuvre
Son âme remplit d’eau l’espace d’un verre
Contre la paroi jetée à la mer
Chalutier chasseur de chiens
Aimables arrière-trains de l’homme
Fessiers pleureuses, l’anus est cette fente
Pour dire la foule et ce qui sort de ma bouche
Des cadavres d’arrière-train, des digestions infâmes,
Sa tête explose sous mon pouce,
Il n’y a plus de rat, créature plus illustre
Que l’âme multiple,
Moins hésitante que ma mémoire
Créature sans trou.
Mes signes feront l’actualité
Je donne à l’animal la place au creux de ma main
En guise de témoignage,
C’est ma tenue, ma consistance,
La forme de mon absence
Et s’il ne fallait plus dire
Que les signes du silence
L’espèce, Editions Mots Tessons,
2009. (Extraits de la première partie).
Bio-bibliographie de Mathieu Brosseau.
Lire aussi création du fonds poésie et
d’une résidence à la bibliothèque Marguerie Audoux, L’espèce (par A. Helissen), et même dans la disparition (LJ), La
confusion de Faust (S. Ecorce)
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