Il faut être fiévreux enthousiaste et méticuleux froid, successivement.
Encore une chance !
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Le lisse de Baudelaire. On entend bien
l’éloquence ternaire du début de La
Beauté : « Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de
pierre… » On se rend compte ensuite que l’accent tombe comme par hasard
sur l’assonance. Mais on ne voit pas forcément que le tissu sonore est encore
plus serré : belle, mortels /rêve, pierre /ô mortels, comme un rêve… On repense à la dédicace à
Gauthier : « Au poète impeccable, Au parfait magicien ès lettres
françaises… »
Mais ce qui me frappe, c’est la relative surdité des élèves, au-delà d’un effet
flagrant : ici, l’assonance en è.
Ce qui prouve bien le « lisse » du vers baudelairien. Idem quand je
travaille le premier vers d’A une
passante ; c’est manier un tissu sonore d’une trame extrêmement
complexe sans que cela apparaisse forcément de prime abord.
Question habituelle des élèves, ensuite : « Mais vous pensez vraiment
qu’il a voulu tout ça ? » Difficile de faire le partage entre
volonté, travail, intuition… sauf à partir des brouillons. Mais reste cet
aspect de boulange de langue, de travail de pâte.
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Passage à Chalon. Bon accueil par Claude Vercey : il avait accepté de
diriger l’atelier d’écriture prévu avant la lecture, et que je ne sois là que
pour l’accompagner. Bon public, et voir comment fonctionne un atelier m’a
intéressé. C’est tout un savoir-faire, que Claude maîtrise bien, pour inspirer
confiance, laisser le temps… J’aurais du mal avec ce timing lent, je
m’embêterais au bout d’un quart d’heure. Mais c’est effectivement le temps des
gens, si l’on veut que tout le monde participe.
Je crois que ces ateliers ont une fonction sociale et sont une véritable action
culturelle. Par contre, je ne crois pas que les gens présents veulent écrire au sens où je l’entends. Ils
demandent plutôt des savoir-faire, des exercices, des trucs, des guides, des
contraintes… Cela n’a que peu à voir avec un boulot d’écrivain. Par contre,
c’est tout à fait respectable en tant qu’apprentissage d’une écriture-plaisir
(l’école aurait dû faire ce travail), ou appropriation de l’écriture comme mode
d’expression personnelle, ou mode d’insertion dans un groupe.
Mais j’ai sans doute tort de croire que ces gens réunis librement pour écrire
et échanger veulent devenir écrivains : il s’agit peut-être d’un loisir au
même titre que le bridge ou le point de croix, ce qui n’est aucunement
méprisable.
Vu une jeune femme qui m’a demandé timidement de lire sa plaquette, Harmonie, éditée chez « L’Eden du
ménestrel ». J’ai eu le temps de lire l’ouvrage samedi matin à
l’hôtel : il me pose deux questions. 1) Est-ce que j’écris pour moi, pour
mon cercle d’intimes ? Dans ce cas, imprimante et photocopieuse suffisent.
Ou bien est-ce que je vise un public extérieur, même restreint mais
inconnu ? Cette question simple change la donne, à commencer par les
dédicaces : « à ma maman », « à Delphine et Robert, pour
leur mariage », « à mes amis de la bibliothèque de Saint Fons sur
Adour », etc…
2) Est-ce que je connais un peu ce qui s’écrit actuellement ? Histoire de
sortir de l’ornière du sentimentalisme naïf.
Je comprends très bien que la poésie contemporaine pose un problème de
repérage : j’ai aussi cette difficulté avec une part de la poésie dite
expérimentale. Mais j’essaie de voir comment me situer par rapport à ces
travaux qui ne me sont pas proches mais qui ont leur place dans le champ de
l’actuel. Et il reste encore toutes les autres formes d’écritures contemporaines
qui ne sont pas forcément d’un accès difficile. Mais on ne peut pas écrire
aujourd’hui sans du tout connaître le paysage poétique, même si l’on peut
revendiquer une écriture néo-classique.
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Belle lumière jaune du soir. Pas de bruit, ou loin. J’aime bien les vacances de
pâques pour cette raison. Pornichet n’a rien d’une station balnéaire comme en
été, c’est juste une petite ville de province qui sort de sa torpeur d’hiver.
Besoin de ce calme, durant plusieurs jours, pour laisser reposer l’agitation du
mois de mars.
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suite vendredi 1er février 2013
©Antoine_Emaz
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