Poezibao entreprend aujourd’hui, dans
le cadre de son feuilleton, la publication d’un nouvel ensemble de notes d’Antoine
Emaz.
Ludovic Degroote : Wimereux, éditions
La Porte.
Mesure simple de la prose et des vers isolés. Simplicité/efficacité des
reprises : « je suis bien ». Se laver du passé. Tension créée
par articulation d’une expérience corporelle simple (le bain) dans un
environnement symbolique (ville morte, mer/mère). À-plat de l’expression du
sentiment, en même temps qu’est gommée toute référence précise.
Pages comme retour/détour forcé par les mots, par le poème tenu en tant que poème, c’est-à-dire parfaitement lisible hors
contexte, ou dans le contexte formé par Ludovic depuis La digue et Barque bleue.
Le « chialer » de la fin n’est pas un épanchement dans le sens où
aucune cause n’est dite : pour le lecteur, il est une manifestation
corporelle d’une émotion opaque, au même titre que le froid de l’eau, au début.
Ou bien on ne peut pas dire, ou bien on ne veut pas dire, ou bien on ne doit
pas dire… mais il faut dire, sinon on ne sort plus du bouleversement. D’où le
jeu chat/souris entre poésie et narration pour dire sans dire un noyau
d’énergie émotionnelle qui non-dite, ferait exploser, et dite, ruinerait. Il
faut quand même beaucoup payer pour en arriver là.
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Certains poètes ne peuvent pas couper court. Je veux dire que l’espace de trois
pages dans une revue n’est pas suffisant pour que le lecteur puisse vraiment
entrer dans leur travail. Il leur faut une suite d’une dizaine-vingtaine de
pages pour que l’on se règle sur leur longueur d’onde et que l’on commence à
saisir l’unité du travail, et son sens.
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J’ai toujours du mal à annoncer à un ami dans la difficulté une bonne nouvelle
qui me concerne. D’un autre côté, s’il l’apprend par la bande, il sera vexé que
je ne lui aie pas dit. La délicatesse n’est pas un art facile.
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Beckett est un nihiliste sauvé par son humour. Après l’avoir beaucoup lu, je
m’en détache un peu maintenant, non à cause de sa lucidité sombre que je
partage quant au peu d’humanité de l’humain, mais sur l’absence de refus ou de
révolte. Les personnages sont déjà si écrasés qu’ils n’ont plus de ressort pour
aller contre. Je crois pour ma part à la nécessité de préserver la possibilité
du non, du refus d’accepter, même écrasé, l’écrasement. Ce n’est pas un espoir,
juste une question de dignité. D’où l’image de la poésie-lichen, minime et sans
gloire, mais résistante et persistante là où plus rien ne pousse.
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Journée. C’est-à-dire suite d’actions toutes nécessaires ne laissant plus de
temps. Seulement une journée passée et sa trace de fatigue dans le corps. Un
journalier, voilà ce qu’on est le plus souvent d’une vie. Et quand on revient
en arrière, on a le temps comme un bloc de glace, vitrage épais et transparent,
cataracte d’œil.
***
Au bout, une œuvre n’est pas un titre de propriété insaisissable sur un lopin
de langue, mais bien un mouvement, un geste d’écriture, arrêté par mourir ou
vieillir.
Si je regarde les quelques critiques sur Peau,
je constate qu’elles ne touchent pas vraiment à Limite lyrique, et c’est normal. De la même façon, cela
m’étonnerait beaucoup que pour Lichen,
encore soit mis en avant Pensée
effilochée. Et ce n’est pas grave ; c’est sans doute que les gens
voient mal comment intégrer cela. Mais moi non plus, je ne sais pas. Je prends
simplement ce qui a demandé, avec insistance, à avoir lieu. Donc je donne lieu,
puis l’éditeur idem. A ce stade, difficile d’en dire davantage.
Dans quelques années, on pourra peut-être juger de l’intérêt de ces tentatives.
Car je ne crois pas que l’on reparte du cœur d’une œuvre ; c’est l’endroit
le plus dur, inimitable, d’un travail. Par contre, on peut repartir des marges,
de la périphérie, de ce que l’œuvre ouvre comme possibles, sans les réaliser.
En gros, c’est ce qu’elle indique, et laisse pour d’autres. Alors que le noyau
central, c’est dit, et si l’œuvre importe, c’est dit une fois pour toutes dans
une seule manière de langue. Dans manière, j’aime entendre main.
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