Matin ou soir, nul ne sait plus ; les heures ne
ressemblent qu’aux heures ; le temps se perd, décohabite ; l’humain n’est
que l’ombre : de quoi ? La lune en avalanche me dévore le crâne, une
fois encore, je ne sais plus penser. J’arrache des mots de mon cerveau, les
pose un à un sur le sol, ce que je lis, je ne sais plus le dire : ce que
je lis : tache ma nuit. Je reste assise sur le parquet, balance d’une
planche à l’autre, en écoutant grincer mes os qui rouillent à l’intérieur, qui
méticuleusement : se déglinguent. Le corps : de la tôle froissée, des
morceaux de ferraille qui volent en éclats. Il y a tellement, tellement de
pression : sous la peau…. Les lettres dans tout ça, dire un mot ?
Lire, écrire ? je regarde à mes pieds l’alphabet qui me forme et tout
semble erroné. Alors, à nouveau le silence. Les mots n’ont plus de point d’attache.
Dehors, il fait décembre, sans doute un courant d’air qui fige ma cervelle et
fait craquer la langue. Lentement je me lève, me dirige automate vers le petit
matin, et c’est une nuit blanche qui me
remplit la gorge. Je pense à la noyage, au petit cœur : « ploc »,
l’eau partout ça recouvre, et « ploc » : j’ai peur. Je me ferme
les yeux et la tête, voudrais me sauver des images, arriver près de toi au plus
vite, trouver le bon cheval, t’emporter au galop, et puis quoi ?... avoir
cinq ans trois quarts et que les couettes me poussent. « Ploc », j’entends
la goutte d’eau qui m’enflamme le cœur… « Ploc », « ploc »,
« ploc »… M’en vais marcher je ne sais où, dehors, avec la lune en
tête morte, ignorant quoi du sol ou de moi, à chaque pas, s’écroule.
[...]
Edith Azam, Décembre m’a ciguë,
éditions P.O.L., 2013, pp. 46 à 48
Lire une note de lecture de ce livre par Anne Malaprade.
Edith Azam dans Poezibao :
bio-bibliographie, note
de lecture de Un objet silencieux, extrait 1, extrait
2, à propos d’Al Dante, à la soirée Polyphonix (dec. 06), extrait 3, extrait 4, Tiphasme est phasme
(parution), Amor barricade amor
(note de lecture), extrait 5, Rupture, ext.
6, du pop corn dans la tête (A.
Helissen), Le mot il est sorti et du pop corn dans la
tête (M. Gosztola)
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