Deux beaux livres de Pierre Garnier que tout oppose, les titres d’abord et
surtout les formes : poésie spatiale, dont il est le maître, très visuelle
d’un côté et de l’autre poésie « linéaire », plus traditionnelle.
Cependant quand on lit les deux volumes à la suite, on constate de fait qu’il
s’agit bien du même auteur, qu’il n’y a pas de posture ni de hiatus dans la
création entre les deux manifestations. Le premier, « Merveilles » expose
des formes simples, rudimentaires même : deux traits rapides pour un tronc
d’arbre, un soleil (un rond et huit rayons), et surtout le cercle, nu. A partir
de là, toutes sortes d’associations se cristallisent, parfois interchangeables
qui dans un premier temps n’ont pas toujours un rapport immédiat, apparemment,
mais qui ensuite par petits sauts d’évidence correspondent, ainsi pour la forme
arbre, on trouve aussi bien : l’arbre
/ voyage / avec la terre que il
neige - / ce soir la nuit / ne viendra pas. Ou bien à côté d’une forme
basique de moulin : le moulin reste
/ dans le pain, / dit l’oncle boulanger. Les circonférences achèvent le
cycle des merveilles avec ces mêmes cercles qui valent aussi bien pour le cri, le tilleul ou le baiser,
pour ne prendre que deux pages en vis-à-vis. Que dit Pierre Garnier ?
« La poésie c’est l’imprévu » Toutes
sortes de mots tentent de faire alliance avec le cercle ou de dévier sa trajectoire. Ainsi toutes les
lettres se regroupent par capillarité dans le A et les chiffres par osmose dans
le 1 ou le 2. C’est le « moi
lyrique » qui fait la poésie. Et il ajoute : Le moi lyrique distingue le poète et le prosateur.
Le second
recueil « depuis qu’il n’y a plus de papillons sur terre… » se
présente sous une forme plus habituelle, linéaire donc. Mais c’est bien le même
Pierre Garnier qui écrit. Autant le premier livre condense image et mots,
autant ici le poète, débridé, peut s’en donner à cœur joie, dans des textes qui
se déroulent librement sur plusieurs pages. le
soleil me dit que le poème est apparu / avant le monde Les poèmes ont
souvent rapport à l’enfance dans l’émerveillement et l’imagination qui
étincellent et crépitent, mais l’expérience et la maturité ne sont pas écartées
On voit dans le jardin du presbytère /
des arbres qui ramassent leurs fruits L’attaque des vers de Pierre Garnier
prend souvent la forme d’une phrase ordinaire, mais à force de développements,
ou de reprises discrètes d’un thème, le poème avance comme un cheval au galop. le Christ portant la croix / est le pommier
portant sa poutre On se situe dans le même principe d’association ou
d’égalité approximative, ce qui n’empêche ni la jovialité ni le sens de l’image
c’est bon de parler picard / ça craque
comme de la mâche Pierre Garnier se reconstitue un univers à sa dimension,
avec des éléments récurrents : le pommier, le papillon, l’église,… l’arbre tourne seul, / il tourne autour du
soleil, engagé dans les roues dentées / des saisons On retrouve certains
symboles spatiaux qui s’agglomèrent et se mettent en perspective dans de longs
poèmes. On demeure donc dans l’espace géométrique, la mairie à côté de l’école / est une verticale qui va profond mais
la poésie qui restait condensée dans les signes, est déclinée sans restriction le long de pages ouvertes les poissons ressemblent au ruisseau / ils
sont de la même origine A part référence explicite à l’Occupation, aujourd’hui seuls les coquelicots sont des
résistants cette poésie ne comporte pas de temporalité, elle s’étire de sa
jeunesse jusqu’au présent dans une sorte d’atonie du temps qui confère à son
écriture une fluidité fascinante. La mémoire photographie le réel et le fige
dans une histoire désincarnée, et la poésie jaillit de cet état de suspension
où le siècle entier tient dans un regard. Pierre Garnier écrit comme il respire
avec cette magie inspiratrice dans l’œil, rond comme la terre autour de
laquelle il ne cesse de tourner, spationaute d’encre.
[Jacques Morin (Jacmot)]
Pierre Garnier, Merveilles & Depuis
qu’il n’y a plus de papillons sur terre il n’y a plus d’anges musiciens dans le
ciel, L’Herbe qui tremble, 2012, 24 € & 26 €. 25 rue Pradier – 75019 Paris.
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