Mathieu Brosseau publie Ici
dans ça, au Castor Astral. Une lecture d’extraits
du livre sera donné le 20 juin à Paris par Nâzim Boudjenah, pensionnaire de la
Comédie-Française, avec au piano Denis Chouillet. Poezibao publiera ultérieurement un entretien avec Mathieu
Brosseau.
La suture liant mes lèvres, il fallait
y penser, ils m’ont cloué le bec, ça s’est cassé, le çaction pour devenir la parole,
le çaction, toutes ces possibilités de sutures entrelaçantes, celles qui nouent
le silence agissant à l’absence trouée du soi passivé, qu’elle ne soit pas,
celle maternelle, qui te sépare de ce que tu es, il a dit : je suis celui qui
est, il a dit qu’il n’investissait pas le commentaire de toute chose, mais
qu’il était toute chose, il a dit qu’il fallait en finir avec la peur, AVEC LA PÉRIODE HISTORIQUE DE LA PAROLE, CELLE D’À-CÔTÉ,
QU’IL FALLAIT EN FINIR POUR RÉINVESTIR LES RÊVES ET LEUR ACTION, C’EST UN CHANT,
C’EST UN CHANT ! UN SUPERBE CHANT !
MAGNIFIQUE.
ÉCOUTE MA VOIX, ÉCOUTE-LA BIEN PARCE QUE JE SUIS DEDANS, TOUT ENTIER DEDANS. ET
ÇA BEUGLE DANS LES CARCASSES.
○
Autoportrait du soi qui devient Nous, sujet lyrique par excellence, la
pixellisation de ton image reflète toutes les âmes que tu as croisées, toutes
celles que tu as aimées, que tu as prises ou déprises ou morcelées, tu jures de
n’avoir pas rencontré d’âmes, qu’il n’y a pas d’âme, qu’il n’y a pas d’étendue
de l’âme, tu jures qu’il n’y a pas de Dieu, tu le jures sur la tête de tes proches,
de tes grands Nous, ceux qui te font et te défont au rythme de la mimèsis
sauvage, NON CE N’EST PAS UNE FLEUR, C’EST L’ORDRE
DES MÉTAMORPHOSES. L’AUTOPORTRAIT DU NOUS VARIE SELON L’AXE DES SOI EN
MOUVEMENT, C’EST UN PORTRAIT CHANGEANT.
○
Il n’y aurait pas de nom à donner s’il n’y avait qu’un événement seul, si la
parole fut, c’est d’abord à cause de la fragmentation, filaire d’entre les
cieux, parcimonieusement dispersée en amont et en aval de toute théorie, il y
eut le retour dans les failles temporelles, dans les interstices de la
négation, puis il y eut le retour sur les exemples du symbolique, C’EST-À-DIRE D’UN ESPACE NOMMÉ PAR LE SECTIONNEMENT D’UN
TEMPS PERDURANT INFINIMENT, IL Y A LA BÊTE COMME ÉMANATION SYMBOLIQUE, IL Y A
LE TROU COMME FIGURATION DE LA JONCTION ENTRE LE FAIRE ET LE FAIT, il
n’y a pas d’intervalle donné, tous ont été volés par la parcelle, par le
territoire d’une seule croyance, par la foi que l’on y porte.
Nous sommes le monde et son allant, nous sommes le monde et son arrivant, nous
sommes le monde et son territoire, nous sommes un jeu multiface brillant entre
les feux d’une parole qui se disloque.
Ça beugle dans les crevasses.
○
Aucun âge, plus aucun âge, tous confondus en un seul temps pensif, en un seul
corps noble les regroupant tous, motorisé par l’énergie des plantes solaires,
les enfances mêlées, te souviens-tu de l’enfant dans la pommeraie ? Il
n’y a plus d’affaire à prendre, tout y est, la place est prise par l’ensemble
des espaces, réunis là, prise au dépourvu dans ma tête, même la possession n’est
plus, seule la démonstration est, les vies se nouent, un seul enfant regroupant
toutes les vies, aux sexes vibrants, dynamique sous-jacente, la fleur des âges
fait vivre les angles de la mémoire, plus besoin d’aucune éthique, plus besoin
d’aucun corps, plus besoin d’aucune forme, sinon pour la démonstration,
écholalies diverses, maîtrise d’un soi qui se décompose, la trace pour seule mémoire,
les chemins ne sont que des moments, les enfances se jouent, sous-jacentes,
restant plus vieilles que l’instantané du corps mouvant, contenant toutes les
sources, LA BOUCHE CONTENANT DÉJÀ TOUTES LES
PAROLES, ET QUI NE SE DISENT PLUS, QU’IL N’EST PLUS NÉCESSAIRE DE DIRE, QU’IL N’EST
PLUS NÉCESSAIRE DE PARLER, LA FORME N’EST PAS DITE, LAISSEZ-MOI DONC VIVRE
CE NÉANT !
○
La sortie était déjà là, bien sûr, dès l’entrée, on ne se perd pas, tiens-moi
la main, les mains, le vide ne se fractionne pas, c’est pourquoi nous écrivons
sans fin des mots et des silences, des récits et des caves, il y avait quelque
chose d’aérien là-dedans, même au fond, à l’intérieur de la vue, cette sortie
fausse.
Et je ne parle pas d’issue, la question de la perte se fait en deux temps,
le-vécu-le-parlé, deux temps du propos, ainsi va la question de la réponse, s’il
fallait un happy end, il serait drôle comme rien, comme un faussaire, drôle,
drôle, et surtout SANS TRAIT D’UNION.
De A à B, il y a tiers, c’est-à-dire le surplomb d’une pensée, la terre est
bonne à toucher (ce réel est évidence, certitude pour l’intention) et
qu’advienne l’apparition du personnage en arrière-plan, jusqu’alors évité sur
la toile. Il révèle l’ensemble comme une fin, cet enveloppement de sens qui,
depuis la croupe du temps, dégénère les unités multiplicatrices.
Dieu a toujours eu des enfants comme témoins. L’insécable est cet après-coup,
au moment lié où le regard tombe sur le personnage en arrière-plan. L’hier
absent ne pouvait être ce tiers présent, l’origine est toujours ici dans ça,
pensé. Cette sortie fausse.
Mathieu Brosseau, Ici dans ça, Le
Castor Astral, 2013, pp. 25, 48, 51, 115 et 160
Mathieu Brosseau dans Poezibao :
bio-bibliographie,
création
du fonds poésie et d’une résidence à la bibliothèque Marguerite Audoux, L’espèce (par A. Helissen), et même dans la disparition (LJ), La confusion de Faust (S. Ecorce),
ext. 1