1 L’OISEAU
Fendant l’air glacé, relevant l’aile, il tourne au-dessus des villages, aspire
un peu d’humidité, redescend en tourbillonnant, se calme, hésite entre divers bosquets,
choisit enfin une branche pour se fixer, roucoule en attentant quelque amie,
écoute les mille murmures, se cache au passage des hommes, reprend sa
respiration, lisse ses plumes, tord doucement le cou, cligne de sa triple
paupière, se gonfle, s’ébouriffe, s’agite avec lenteur, prend appui sur le vent,
remonte au-delà des cimes, aperçoit la mer, y développe un grand virage à la poursuite
d’une mouche, plane, s’endort presque sur sa vitesse, reconnaît la fourche de
son nid, repart.
2 LA DÉCLARATION
J’agite mes mots dans mes paragraphes comme un pinceau dans un godet. J’ai mis
en branle autour de ces images une agitation irradiante, et chacune appelle ses
voisines à l’aide pour retrouver mieux leur énergie commune : ainsi le
miroir déclare à la braise : venez vous dédoubler dans mes illusions,
venez vous rafraîchir aux apparences de flammes que j’ai su vous emprunter ;
et celle-ci de lui répondre : venez vous ternir en sigles d’haleine, cher
diseur d’aventure, venez palper votre avenir dans ma nuit rouge ; ainsi
cette déclaration murmure au baiser : venez m’accomplir, et celui-ci dans
son silence la supplie de se renouveler.
3 LES ROSEAUX
Oscillant sans lassitude, au milieu de l’argent qui les enlace, leurs massues
inscrivent sur les brumes leurs calculs, parmi les commentaires de cygnes. Une
barque tire après sa corde emmêlée de prêles comme pour arracher le crochet de
rouille fiché dans la vase. Les brindilles flottantes se rassemblent autour d’une
pierre noir immergée. La Lune vient d’apparaître sur l’autre rive. C’est un cor
maintenant qui hante le bruissement. Quelques éclats du dernier crépuscule. Un
couteau abandonné sur le sentier ; quelques brins de laine accrochés aux
épines ; un morceau de soie indigo à rayures blanches flotte dépenaillé à
la légère brise qui se lève.
4 LA CHALEUR
Graine d’un emblème que j’arrose et greffe ; après avoir inscrit la
falaise je grave comme devise « mûrir et siffler », pour les amants « languir
et cuillir », pour l’insecte « nouer et dénouer », pour le
sommeil « jouer et déjouer », pour la clef « trembler et oser »,
pour la meule « veiller et précipiter », pour le conseil « fouiller
et démêler », pour les hampes « biffer et saccager », pour le
glissement « ébranler et transporter », pour le nu descendant un
escalier « effleurer et saluer », pour cette chaleur « gonfler
et planer ».
Michel Butor, Illustrations III, in Œuvres complètes de Michel Butor, sous
la direction de Mireille Calle-Gruber, IV,
Poésie 1, 1948-1983, Éditions de la Différence, 2006, pp. 640 et 641
Michel Butor dans Poezibao : bio-bibliographie, extrait 1, extrait 2, extrait 3, extrait 4, extrait 5, extrait 6, extrait 7, extrait 8, extrait 9, extrait 10 (Seize Lustres), annonce édition œuvres complètes à La Différence, rencontre avec Michel Butor à la librairie Compagnie (mars 06), exposition à la BNF (été 06), visite de l’exposition à la BNF, fiche de lecture de Don Juan en Occitanie (avec Colette Deblé), extrait 11, colloque oct 06 BNF, parution du tome IV, Poésie 1, dialogue avec Delacroix (parution), extrait 12, rencontre MEL (12 nov. 2009), Mobile de camion couleurs (par A. Emaz)