L'écart et la nudité
La division (menace) du temps pour
l'origine - / désir démultiplié qui prend les respirations
de court - dérision du récit - vertical et
parallèle - / instant trahi (1), la coupe abrupte du ciel
vers la terre, du nombril à la glotte, l'air tournant les lèvres de la bouche
vers l'extérieur, donne ici sur une fixité de l'image, la pupille étrécie
centrée sur l'axe vertical, fil de l'horizon debout, risque une double perte,
celle de l'observateur et de l'étendue, les bruits féconds, les enfantements du
monde s'exilent, hors-champ, invisibles, indistincts. La voix s'efface /
l'interrogation nocturne, les envers de la durée, (2) va de l'extinction mortelle à ce qui
l'incarne, plage, marée ascendante et descendante, le plan latéral, horizontal
confirme par une alternance des moyens depuis la face cachée des rêves actifs
dans la lumière du jour, les éclats, coupe transversale du réel exemplaire de BLANCHEUR ET SEDIMENTS (3).
L'espace s'adonne fugitivement à la
nudité blanche de la lettre (4) et s'interrompt, blanc sur blanc, tons du
silence et l'écho des lettres nocturnes concrétisent des rythmes qui intègrent
les hauteurs aux tonalités endurées. La page écrit l'épopée de ces instants,
leurs venues ne relèvent d'aucune systématique, édictent la liberté du poète en
même temps que la permanence de l'espace. Du blanc vient de la nuque au bras,
s'unit et rayonne à travers la main du poète sur la page. Une légende tardive,
née après les mythes, elle-même perdue, s'incarne dans les mots, l'écrit la
porte en amont des échos et des rumeurs mythiques - parmi lesquels Homère a
choisi ses héros et ses dieux - lieux où elle
élabore les données (5). Inédite, familière, obstinément matérielle. égarement dans les sentiers adjoints /
qui mènent à la mer (6)
Ni éclipse, ni retrait hors du temps. "à
genoux" disait-elle - il élaborait le discours (7) Albiach crée le
vers distributif, au plus près de tous les chaos, soubresauts de notre époque. cela dit dans la disparition du sujet - /
en dépit - (8) condition optimale
d'une restitution de chaque humanité intransitive - la suspension de soi
révélant en retour, par l'attention portée au monde, le caractère unique de
toute personne dont la situation, les positions sur le globe terrestre et parmi
les générations, évoluent dans la dépendance d'autrui et des dehors multiples.
Dans ce mouvement d'anonymat requis, une prise d'élan en vue de franchir
l'obstacle des apparences, un mouvement de retrait à la fois physique, -
réflexif, a-logique - et abstrait expose le désir irréductible de chacun,
condition de complicités, causes communes. Le poème naît de ces confrontations,
matières et souffles humains, n'a pas d'autres dehors ou dedans. A défaut de
s'écrire à plusieurs, la poésie, aux yeux d'Albiach est sans objets, hors
sujets.
le chiffre trois celui des
"lames" (9) le chiffre
trois semble prévaloir à toute éventualité -
(10) trois fois, elle se refuse -
répercussion dans le temps - (11) le
poème s'aventure, choisit ses instruments
de navigation, l'eau donne ses embruns (12), lames des vagues,
rythmes ternaires,
formules des augures (13) animent, mobilisent le Désir. Le propre du Désir serait de s'évincer - et dans cette soustraction qui
lui est inhérente, on peut envisager le phénomène d'entropie (14)
à travers lequel le monde concret s'établit. Réel fait de mots
dont les lettres figurent les mesures rapportées à leurs excès, l'indéfini de
l'espace blanc tantôt confiant envers le poète, tantôt déroutant les prévisions
de ce dernier. Vent, gouvernail, livre de consignes et de bord (15), chaque
lettre et mot entrent à corps perdu dans l'inconnu, voie d'accès à l'obscur
/ Forces dénommées au /
détour du sommeil - / Ce n'était pas un corps qui se donnait mais /
l'image (16).
elle précise l'écart /
il parle de nudité - (17) La description native des genres
grammaticaux et des physiologies mâle et femelle distincts écrite précocement
dans Flammigère (18) devient - en
regard de l'urgence manifestée dans ce premier poème - anecdotique, la poésie
d'Albiach relevant les positions créatrices et critiques des uns et des autres,
poètes amis dont elle pèse les mots, les rapports humains, en même temps
qu'elle écrit, déplacements nocturnes,
elle évalue les écarts - (19). La Mise
à nu de l'écart (20) concrétise
le désir d'exploration inhérent à sa poésie, l'étonnement gagnant sans
artifices la lassitude à sa cause, elle
déviait incessamment l'enjeu
/ point neuf - (21). Le
rythme des images, ils craignaient
l'harmonie - le désordre surgit (22)
somme conductrice des traversées du rêve à la mémoire, de la nuit au jour, de
la mort à la vie, de la fatigue, le désir épuisé, illisible la marque des géométries pulsionnelles (23), au poème,
lie les séparations, efface leurs isolements sans les nier, ajoute à toutes
finitudes l'espace blanc de l'infini. un
espace émancipe l'esquisse première (24) la voix du poète redevable et
distributrice de l'oubli mémoriel où les éléments déjouent et construisent les
éléments de la nature. Avec toutes les péripéties où le tragique et l'enthousiasme
s'exacerbent, transgressent leurs oppositions, ne résistant pas à une
métamorphose initiée par le désir qui les contamine. Mus par cette soif de
création et de connaissance du passé et de l'avenir, gagnés par les
expérimentations et intuitions du poète où ils s'initient sans discontinuer.
[René Noël]
Anne-Marie Albiach, Celui des "lames", éd. Eric Pesty, 2013
1 Celui des " lames " p. 7
2 Ibid., p. 5
3 Figurations de l'image, p. 47
4 Etat p. 31
5 Celui des " lames " p. 5 - " elle s'ignore, elle s'éblouit face aux
données " , Figurations de l'image, éd. Flammarion, 2006, p. 17
6 Figurations de l'image, p. 43
7 Celui des " lames " p. 7
8 Ibid., p. 8
9 Ibid., p. 19
10 Ibid., p. 5
11 Ibid., p. 7
12 Ibid., p 11 - : les objets / affluent sur la table à marée basse , Figuations de l'Image, p. 38 les
sentiers adjoints / qui mènent à la mer ,
Ibid., p. 43
13 lame de tarot, la troisième, figurant l'Impératrice
14 Anne-Marie Albiach, Amastra-N-Gallar, N 12, Lalin (Pontevedra), 2006, p. 4
15 Figurations de l'Image, Blancheur et sediments, p. 47
16 Celui des "lames", p. 6
17 Ibid., p. 19
18 Flammigère, Siècle à mains, 1967
19 Celui des "lames", p. 5
20 Celui des "lames", p. 19
21 Ibid., p. 20
22 Ibid. p. 21
23 Ibid. p. 5 - à quoi correspondrait
cette convulsion aveugle des / réels lorsque le sang tiède qui parcourt
les vaisseaux (et la mer...) émet un bruissement plus insistant
- mais le corps de mémoire / recherche
le corps de Celui ; Les mots qu'il
prononçait mezza voce dans un / élan
de draps incestueux qu'il fuyait, faisaient
/
qu'elle entendait comme paralysée
par un / enchantement. Figure
Vocative, éd. Fourbis, 1991, respectivement p. 24, p. 30
24 Ibid. p. 16