« Plus
d’une langue »
Je pourrais moi-même me croire plus proche de la défaite (qui n'est pas un
échec) que de la "fantasque fatrasie" mais pas tant que ça et surtout,
est-ce si différent…
D’abord je suis infiniment sensible au charme des mots "fantasque" et
"fatrasie", fantasque me rappelant l’intraduisible
"Phantasie" allemande, entre le conte, le merveilleux et le petit
"grain", dirais-je, me rappelant donc aussi bien ces femmes qu’on dit
fantasques… Y a-t-il encore des femmes fantasques?
Elles étaient françaises ou anglaises de préférence, voire d’un autre
siècle, s’ennuyant dans la tour, s'inventant des petites dingueries, juste sur
la lisière, en principe acceptées par la société mais pouvant aussi bien le
payer cher, par ennui, trop plein ou trop vide...
Et la fatrasie? C'est l'évocation d'un désordre lui
aussi plein de charme et forcément pourvoyeur de trésors...
Mais le titre du dernier livre de Françoise Clédat, Fantasque fatrasie, paru chez Tarabuste, est barré, pour laisser
entre parenthèses une proposition : (Une
suggestion de défaite).
De quel renversement, de quel balancement s’agit-il, de cette légèreté proposée
puis barrée et cette suggestion plus grave mais ce n’est peut-être qu’une
apparence… C’est peut-être juste la vie, la jeunesse puis la moindre jeunesse
et l’observer, la ride, la mollesse, tendrement.
C'est surtout le balancement entre une langue très
moderne et celle qui la travaille, venue
du Moyen âge et du conte (« sept, parmi sept frères ou cygnes du conte
(chiffré neuf au féminin »..
On n’est pas toujours si loin du travail de Philippe
Beck.
Ce qui me fascine aussi, c’est que c'est un livre très
différent des précédents livres de Françoise Clédat, je suis très admirative de
cela : être capable de faire "autre" chose, même si l'on
retrouve l'amour, et le deuil : « L’amant aimé s’absente.
L’amante se voit se perdre en aimant. L’amant mort est réciproque. »
Rien n’est oublié, personne.
Moins d'âpreté cette fois dans ce livre, mais cet
érotisme joyeux et joueur, cette beauté de qui vieillit, ce jeu des corps mais
aussi ce jeu avec soi-même, moins double qu’autre.
Laisser parler l’autre en soi, l’inconnu(e), l’insu(e), le ou la sensuelle,
telle Hélène – je me souviens de ce livre superbe Voir Hélène en toute femme de Barbara Cassin, lui-même multiple,
tel est aussi l’enjeu de ce livre tout le temps étonnant, tout le temps joueur,
tout le temps enfantin, c’est-à-dire
concentré, se laissant promener par lui-même, telle sa Princesse Bambine en son
royaume, l’écriture : « crâne/enfantin très vieux qui ne le
sait »…
Le « plus d’une langue » de Jacques Derrida trouve ici une belle
justification, d’autant que c’est plus d’une langue dans sa propre langue,
toute tissée, comme la chevelure des princesses.
[Isabelle Baladine Howald]
Françoise Clédat, Fantasque fratrasie (une suggestion de défaite), Tarabuste, 2013, 138 p, 14
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