Le « fantasque » va au gré de ses humeurs, de ses caprices, de sa
fantaisie, surprend par son apparence bizarre, le mot dérive du mot
« fantastique », qui désigne ce qui est en rupture avec l’ordre
reconnu et n’existe pas dans la réalité. La fatrasie fut, au Moyen Âge, une
forme fixe de construction rigide (onzains ordonnés selon le schéma
aabaabbabab), dont la particularité résidait dans le caractère impossible, « c’est-à-dire faire accomplir de façon
invraisemblable ou impossible des actions également impossibles ou improbables
par des acteurs qui sont en raison de leur nature ou condition incapables de
les accomplir » (Lambert C. Porter, La Fatrasie et le Fatras, essai sur la poésie irrationnelle en France
au Moyen Âge, Librairie Droz/Librairie Minard, 1960) Françoise Clédat,
poète, n’ignore point cette dernière précision, puisqu’elle cite L.C. Porter en
exergue de son ouvrage ; considérons que biffer ces deux mots en titre,
contrairement aux apparences, ni ne les annule ni ne les oppose, mais rassemble
des traits communs dans le sémantisme. L’acteur des poèmes du livre dont il
retourne dans cette recension, le personnage principal, est une femme,
Princesse Bambine, issue de l’imaginaire auto-biographique de l’auteur « (Toute vie contée ne doit ses limites qu’à
celles de la conteuse) », jeu rhétorique sur sa nomination même,
puisque si une bambine est une jeune fille inexpérimentée, la présente Bambine
n’est plus jeune fille (« Héroïne
détournée des anciens contes, Bambine est hors d’âge »), et possède
fort bien l’expérience, en tant que personnage-narrateur, du conte d’elle-même,
et de la parole et de ses ruses (« Vieille
croit-elle pouvoir s’enfin conter que derrière chaque mot gicle de sa bouche un
crapaud »). Au gré des caprices de son humeur cadrée, Françoise Clédat
fait évoluer son personnage au moyen d’une langue labyrinthique au cœur d’une
fiction fondée sur quelques œuvres d’art (du théâtre, de la peinture, de la
littérature) devenues en quelque sorte les lieux de la narration poétique, dont
quelques-uns des personnages sont mis en action, personnifiés. Le lecteur devient
Minotaure, la poète se métamorphose en Dédale ; et ce livre, Fantasque Fatrasie, est un livre,
pas un recueil, construit en apparence de conte, et notamment pour égarer le
lecteur-Minotaure prévenu qu’il se perdra, si on entend le mot
« suggestion » du sous-titre comme « fait d’inspirer une
idée » : l’auteur inspire à son lecteur celle de la défaite de toute
signification, si ce dernier recherche cela. Il est tacitement demandé
acceptation de l’égarement-lecteur ; alors quoi il n’y aura
« défaite », mais des fêtes, verbales, l’esprit alors défait de sa
corporéité (le personnage de Bambine lutte contre sa propre corporéité (« Fable sentir brûler/Les derniers/Les plus
intenses feux de son identité corporelle/Adorant ce qui d’elle se
consume/Anticipe le texte qu’elle brûle d’être »). Par déduction, la
biffure du titre n’est-elle pas le fil d’Ariane (demi-sœur de Minotaure) entre la
poète et le lecteur ? L’impossible est ici la langue (« Écrire est l’acceptation de cela:/ Quelque
effort que tu fasses/ Quelque regret que tu aies/ Tu ne seras que/ Rien que ») ;
une langue que la poète, en raison de son choix de poète, ne peut manier de la
même manière que le commun des mortels, par quoi elle nous mène au plus près
des mythes, des légendes, des contes, ici savamment mélangés, pour former un
bel irrationnel, suffisamment sensuel pour titiller les sens, et mener,
subrepticement, vers la pensée, la conscience de soi, la conscience de sa
propre parole. In fine, Françoise
s’adresse au lecteur qui voudra bien la suivre et s’y perdre, avec
malice : « Aux yeux rieurs. »
[Jean-Pascal
Dubost]
Françoise Clédat, Fantasque Fatrasie, (Une suggestion de défaite), Tarabuste éditeur, 148p., 14 €