Les éditions Circé publient Le Martin-pêcheur, dans une traduction de Marie-Claude Peugeot.
La crique
À l’intérieur de la maison douillette, des assiettes à décor chinois
bleu font le tour du lambris, le point de croix
apprivoise la chambre d’amis, des noix de muscade entières
logent dans le casier à épices, et quand il y a du brouillard
ou un coup de vent, nous allumons une flambée, nous écoutons
Mozart, nous lisons Marianne Moore, ou bien
nous restons à regarder au dehors les eiders, à l’aise
dans leur plumage blanc-sur-noir, piquer
dans la houle et s’y enfoncer douillettement
comme s’ils plongeait sous l’édredon
dans une chambre d’hôtel gemütlich à Innsbrück.
À la brune nous observons un porc-épic, quadrupède
chenu, émerger de sous les épicéas,
sa queue une palette, une fourche d’aiguilles, dressée bien droite
à l’arrière, comme si le terrain n’était abordable
qu’en grimpant : il examine les lieux,
et puis se retire du domaine (supposément)
inquiétant de l’horizontal pour pénétrer
dans les broussailles accidentée de la normalité
De la véranda, surplombée d’un sorbier
que le vent étreint, branches tachetées
tapissées de lichens, où par beau
temps, chaque fois que nous levons les yeux s’abat
un oiseau chanteur d’une espèce nouvelle, tout en ombré
et riche broderie, à travers les feuilles,
un midi, baissant les yeux
nous avons vu dans l’herbe une tortue – dôme de cuir
repoussé soutaché de violet –
trainer son poids vers l’est, chariot
bâché décidé à partir dans la mauvaise direction.
Où les rochers à marée basse, comme le
dos d’un vieux chien de berger ou d’un épagneul, sont
hérissés d’algues mouillées, la crique
encape un pavage marin, qui tantôt
se ride comme du papier d’étain, tantôt
n’est plus que paillettes gélatineuses, ou caillouteux
éclats de mica pilonnés de soleil ; ou bien il y a là,
intact, un mur rideau tout juste peint à fresque
en indigo, une couleur si grandiose, un bleu
d’une telle majesté qu’on ne peut le regarder,
et à son sommet palpite, même
en plein jour, un phare, percé d’un trou
de lumière comme le chas d’une aiguille.
The Cove
Inside the snug house, blue-willow-ware
plates go round the dado, cross-stitch
domesticates the guest room, whole nutmegs
inhabit the spice rack, and when there’s fog
or a gale we get a fire going, listen
to Mozart, read Marianne Moore, or
sit looking out at the eiders, trig
in their white-over-black as they tip
and tuck themselves into the swell, almost
as though diving under the eiderdown
in a gemütlich hotel room at Innsbruck.
At dusk we watch a porcupine, hoary
quadruped, emerge from under the spruce trees,
needle-tined paddle tail held out straight
behind, as though the ground were negotiable
only by climbing, to examine the premises,
and then withdraw from the (we presume)
alarming realm of the horizontal into
the up-and-down underbrush of normality.
From the sundeck, overhung by a gale-
hugged mountain ash, limbs blotched
and tufted with lichen, where in good
weather, every time we look up there’s
a new kind of warbler flirting, all ombre
and fine stitchery, through the foliage,
one midday, looking down at the grass
we noticed a turtle— domed repoussé
leather with an underlip of crimson—
as it hove eastward, a covered
wagon intent on the wrong direction.
Where at low tide the rocks, like the
back of an old sheepdog or spaniel, are
rugg’d with wet seaweed, the cove
embays a pavement of ocean, at times
wrinkling like tinfoil, at others
all isinglass flakes, or sun-pounded
gritty glitter of mica; or hanging
intact, a curtain wall just frescoed
indigo, so immense a hue, a blue
of such majesty it can’t be looked at,
at whose apex there pulses, even
in daylight, a lighthouse, light-
pierced like a needle’s eye.
Amy Clampitt, Le Martin-pêcheur, traduit de l'anglais (USA) par Marie-Claude Peugeot, édition bilingune, Circé, 2013, pp 10 à 13.
Une collection de poèmes annotés du Kingfisher d’Amy Clampitt en anglais, ici
Bio-bibliographie d’Amy Clampitt