Deuxième épisode d’un nouveau feuilleton qui en comportera une douzaine publiés les lundi, mercredi et vendredi. Il s’agit d’extraits d’un ensemble intitulé Cahier AA de Claude Minière.
Répétitions, contradictions, et, à la fin un seul trait. C’est ce que Blaise Pascal appelait « l’ordre de la charité » : « Cet ordre consiste principalement à la digression sur chaque point qui a rapport à la fin, pour la montrer toujours. » (fragment 280)
Tchouang-Tseu : « La Ciel est dedans, l’humain est dehors ».
Si à la suite de la clé gong (« arc ») on écrit le caractère « enfant » on désigne l’archet des instruments à cordes. Associé au caractère d’ « oreille », on obtient l’idéogramme « enlever ».
Avec gong à côté de shén (« corps ») on signifie « personnellement ».
Je pense aux « Indiens » que dessinent de manière appliquée, concentrée et malhabile les enfants : ils flottent dans l’espace comme en lévitation et transcendant la gaucherie du dessin, ou peut-être grâce à cette maladresse même, menacent tout un côté de la page…Indiens contre les « cow-boys » dont le jeune être ne manque pas d’être entouré, comme plus tard l’adulte. Ce ne sont pas des images logées dans l’imagination mais des signes.
« Tout est vulgaire pour commencer. Avec le passage du temps, ça change ». Cette notation de Yuko Mishima me « plonge » dans des abîmes de perplexité. Pourtant, voilà bien le sentiment que j’avais éprouvé avec « Canterbury ».
« Qu’est-ce que tu fais de beau ? » Il demande ça le plus simplement du monde… Lois de la gravité. L’enfant que j’étais s’approche de moi.
L’encre elle-même vient d’une pierre, la « pierre à encre » (yantai). Et l’une des plus anciennes calligraphies (4ème siècle av. J.-C.) sur des tambours de pierre (Shigunvea) décrit le jeu des poissons dans la rivière Quian…Fluidité de la pierre…Pierre, mon deuxième nom de baptême.
Ezra Pound à Venise : « poteaux de pierre aussi doux que savon ».
Un adjectif (« immune ») m’entraîne dans l’histoire. Dans New Age, en 1915, Pound publie des « Notes politiques » par lesquelles il critique la neutralité américaine face au conflit qui ravage alors l’Europe. A son père il fait part de sa colère devant les réticences des Etats-Unis – dont il espère toujours une Renaissance – à s’engager. Pour « arrêter la boucherie ». En 1939 il cherchera en vain à quitter l’Italie pour regagner son pays…. Quelques années plus tard, Artaud dénoncera les trafics qui s’opèrent dans les laboratoires américains. L’ambition poétique peut-elle demeurer immune dans cette histoire ?
Je n’en ai pas fini avec Pound, avec la question historique de la poésie. Après la parution de Pound caractère chinois je continue de m’interroger sur le « drame » du poète. Certes, il a joué la Chine contre l’Amérique, mais pourquoi – pourquoi et alors – tant de doutes sur la validité de son œuvre ? Il pense qu’au 21ème siècle elle ne subsistera que comme « curiosité » ! Il faut reconnaître qu’il ne s’est pas complètement trompé.
Canto CXVI/ « Je ne peux faire que mes notes tiennent ». En 1960 (?), dans le désarroi que connaît l’homme, et dans la « place » (le peu de place) qu’occupe désormais la haute ambition poétique… En 1960, Pound est au bout du rouleau.
Mais, voyons, les notes ne tiennent-elles pas ? S’agit-il, d’ailleurs, de tenir ?... « It coheres all right ».
Et pourtant elle tourne…
© Claude Minière, [à suivre vendredi 19 septembre 2014]
épisode 1