2. Le titre du premier mouvement : « The Burial of the Dead ».
2. 1. À la croisée, donc, de plusieurs champs thématiques : la religion (anglicane) et la mort. Mais aussi : la terre.
2. 1. 1. On l’entend en français, moins en anglais (« burial », étymologiquement, semble renvoyer au fait de cacher) l’enterrement est d’abord une mise sous terre. Le titre présente donc le mouvement inverse de celui que décriront les premiers vers du poème (voir 3. 1), à savoir l’élévation du lilas hors de la terre – et même de la terre morte (« dead land », vers 2). Il y a donc une sorte de dialectique de l’entrée dans la terre et de la sortie hors de la terre. Les morts viennent nourrir la terre, qui nous rend des lilas.
2. 1. 2. « Comment tenir ensemble que la terre est inculte (ou vaine, ou gaste, ou désolée – waste) et qu’elle élève des lilas ? » est une question que l’on devra résoudre plus tard (en 4.) Mais une question que l’on doit se poser maintenant (dans la mesure du moins où l’on tient [mais est-on légitime à le faire ?] que le titre doit être lu non seulement avant, mais indépendamment des vers qui suivent) est celle des rapports entre la terre inculte (titre général du poème) et l’enterrement des morts (titre du premier mouvement).
2. 1. 2. 1. La terre est inculte quand elle est stérile, quand elle ne produit plus rien. L’enterrement, dans ce cadre, est une figure paradoxale, qui signifie à la fois la fin (de la vie) et le début (car les morts nourrissent la terre comme la terre les vivants, éventuellement la rendent riche, cultivable, le contraire de stérile).
2. 2. Mais pourquoi « of the Dead », quel est l’utilité de la précision ? « Burial » ne suffit-il pas à suggérer que l’enterrement se fait des morts ; « l’enterrement des morts » n’est-il pas une sorte de pléonasme ?
2. 2. 1. « Of the Dead » a nécessairement un effet d’accentuation, puisqu’il est, semble-t-il, sémantiquement inutile. À moins que « the Dead » ne signifie pas ici « les morts ». Mais alors quoi ? Si « The burial of the dead » signifie « L’enterrement du mort », l’accent d’un coup sur l’identité du mort, ou de la morte. Si « L’enterrement des morts » met l’accent sur l’enterrement (l’action d’enterrer), « l’enterrement de la morte » le met sur l’identité de la morte. Qui est le mort, ou la morte ?
2. 2. 2. Ne faut-il pas alors revenir sur la traduction de Pierre Leyris*, qui propose « L’enterrement des morts », et écrire ou « L’enterrement du mort » (ou de la morte), ou « L’enterrement » ?
2. 3. Le vers 2 nous apprendra bientôt que les lilas surgissent de la « terre morte ». Si c’est la terre qui est morte, le titre, qui pourrait se traduire en français par « L’enterrement de la morte », signifierait en toute logique « L’enterrement de la terre », ou « la mise en terre de la terre ». Bien sûr, l’une de ces deux occurrences de « terre » est symbolique – et peut-être les deux. Mais ces deux « terre » jouent sur différents niveaux de sens. Car que signifie enterrer la terre ? Quel paradoxe donne son énergie à cette image ? Je veux dire : comment une image bien vivante (celle de la mise en terre, empruntée au folklore chrétien) peut-elle servir à décrire une mort symbolique, et même : une mort des images (la Culture, la Terre morte ?)
(À suivre…)
*[NDLR] Thomas Stearns Eliot, La Terre vaine et autres poèmes, traduit de l’anglais par Pierre Leyris, édition bilingue, collection Points, Éditions du Seuil, 8€. La première édition de cette traduction, au Seuil, date de 1976.
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