Lucie Taïeb publie La Retenue aux éditions Lanskine.
soustraire
au temps, au regard, à la lumière
au jour déjà commencé,
qui devra prendre date
aux mots écrits pour ce jour-là.
à la lumière
soustraire au cours du fleuve, au temps,
ce qu’il charrie,
ne pas le regarder couler,
s’enfouir sous le vert gazon qui borde ses rêves.
soustraire au sens ma propre voix, le monde à mes yeux
ce matin.
au temps, au regard, à la lumière.
il n’y aura pas de libération glorieuse,
puisque la contrainte est lâche.
un refuge n’est pas le mot qui convient, mais
« gangue »
•
soustraire au feu des rêves
à l’eau des aubes
au poids du monde
celui de mon corps
léviter ou se recouvrir.
si je ferme les yeux
mon corps se perd
au noir du monde
en son point le plus creux
où être, enfin, ignoré,
et je retiens un.
se cacher sous les mots
non comme une métaphore mais comme un mouvement
une danse, jouer la mort,
f.w. sous le papier peint d’une chambre romaine –
sous le papier écrit, dissimulant un corps, une chair,
soudain surface et non volume. ou :
se recouvrir de mots, s’écrire la peau de mots
et devenir indécelable,
mot parmi les autres,
papier à peine bombé, ici saillant, point sur le i, ou point d’un
sein
sous le papier.
Il n’y a naturellement aucune raison,
existant,
de vouloir s’annuler.
aussi n’est-ce pas de cela qu’il est question, mais s’extraire :
du corps des choses,
de la matière :
soustraire.
Lucie Taïeb, La Retenue, éditions Lanskine, 2015, pp. 47 à 49.
Lucie Taïeb dans Poezibao :
bio-bibliographie, ext. 1, "Tout aura brûlé", par Katrine Dupérou