Troisième et dernière partie de l’entretien entre Serge Martin et Yann Miralles.
Lire ici la première partie et la seconde partie.
« toi le tien / me traverse encore mille et une voix » (p. 169)
Yann Miralles : Ce qui marque aussi dans le dit et le dire de ton poème, c'est que tout y est soumis à une force transformante. Des références fréquentes à Ovide ou à l'univers des contes au jeu subtil sur les pronoms (« j'entends elle et il c'est je-tu », p. 14, « ce que nous deviendra par nous », p. 62, « épris de nous c'est je-tu continué », p. 95 ; le « il » y devient « îles » et « elle » se change en « ailes »...), de la référence constante à l'enfance (tu sembles passer, là encore, du Hugo de L'Art d'être grand-père, en mentionnant souvent « tous nos enfants », à une sorte de devenir-enfant du sujet du poème lui-même – voir par ex. p. 101) à ton emploi du vers et de la parataxe, tout semble sujet à métamorphoses. Le poème serait-il pour toi le lieu des métamorphoses (en quoi on pressent déjà tout ce que le poème peut avoir de politique) ?
Serge Martin : Si les poèmes trouvent les clartés dans l’obscur, c’est justement parce qu’ils ne demandent pas de maîtriser l’éblouissement, et un tel pari est au plus près de l’enfance, du jeu de l’enfant, de ses demandes même muettes quand la bienveillance l’entoure : j’ai longtemps vécu au bord d’une cour de récréation, et l’explosion quotidienne du cri accouru des enfants comme appel d’air et recommencement de l’élan de vivre m’a toujours évoqué ce mystère quotidien de l’éblouissement comme aube, tout contre les crépuscules parce que la récréation a une fin mais toujours ses débuts éblouissent. Oui, je ne cesse d’écrire comme un débutant, un enfant qui apprend à écrire/lire, parce que je le vis : avec le poème, nous sommes des débutants, comme avec l’amour, avec la société, avec tout (les étoiles, le divin, le savoir, les fleurs, les abeilles…). Mais c’est avec le poème que, comme les enfants et leurs comptines ou autres jeux de langage – jeux de gestes qu’aucune explication-interprétation ne peut assigner à quelques visées seulement éducatives (il y a de l’émeute dans cette littérature enfantine que Claude Gaignebet a appelé Le folklore obscène des enfants (1980) tout en l’arraisonnant à « la formation de la personnalité » !) –, je continue à l’apprendre, à en faire l’expérience vive dans les difficultés et les plaisirs de ce que tu as raison d’appeler métamorphose(s). J’aime ce pluriel parce que l’écrire est d’une grand pluralité exactement comme le lire – non seulement l’immensité des textes, des littératures, des expériences de paroles vives, mais aussi l’empan considérable des manières de lire-écouter-réénoncer que chacun nous connaissons à moins qu’on y mette bon ordre, méthode homogénéisante souvent arrimée à une herméneutique plus qu’à une philologie dans nos traditions, et c’est malheureusement ce que les institutions scolaires font au lieu de veiller à ce que les lecteurs y exercent leur liberté, qui n’a rien à voir avec un quelconque subjectivisme, lequel est le pendant d’un autoritarisme (« communauté d’interprétation »), liberté qui consiste à travailler, du moins à augmenter l’attention, à l’empan des manières de lire et aussi d’écrire, et surtout à laisser résonner ce qu’on pourrait appeler le trouble – ce serait l’orientation de toute métamorphose : il suffirait d’évoquer La Fontaine et, comme le proposait Michel Chaillou, ses fables des murmures. J’aime surtout la matière, c’est-à-dire l’empirie, que la notion de métamorphose prise bien évidemment à Ovide, suppose et même exige : matière-langage, corps-paroles que je ne cesse de rêver, de considérer (comme on nage dans un ciel étoilé l’été), dans mes « comptines », ou formulettes plutôt, qui sont ces petits syntagmes que je malaxe dans tous les sens : mes « je-tu ». J’entends dans ce syntagme à la fois un personnage conceptuel, un corps de réflexivité sur notre humaine condition, mais peut-être avant tout un « jeté » prosodique, un « chant sous le texte », pour reprendre à Mallarmé, qui emporte une énonciation débordante de reprises – coutures et réénonciations continuées. Ce qui implique de considérer en premier lieu l’opération qui emporte le tout : le poème devient poème parce qu’il est mu par une profération, un « en avant », un « vers tu » – ce que tu as très justement appelé dans ton dernier livre, Ô saisons, ô, « le vers projectif », en empruntant à Olson et à son Projective Verse de 1950. Comme toi, je relie cette forme de langage qui n’a pas grand-chose à voir avec quelque formalisme remis au goût du jour, à la pluralité des formes de vie amoureuse : oui !, « qu’il n’y a / que des poèmes / amoureux », as-tu écrit ! C’est cela la métamorphose incessante du poème : son travail métamorphique que j’associe volontiers à la réflexion de Humboldt quand il parle de « discours lié » et surtout d’interpénétration (« accord infiniment puissant entre les valeurs sonores de la langue et l’ensemble du contenu intellectuel et affectif »). Cette association intense de l’érotique et du poétique, de l’amour et du langage, est d’ailleurs reprise par Walter Benjamin dans sa lecture d’Hölderlin avec la notion de « noyau poétique » (je me permets de renvoyer à Langage et relation Poétique de l’amour, L’Harmattan, 2005, p. 302-305). On devrait opposer cette version d’Hölderlin à celle qui domine le champ poétique français sous la coupe de Heidegger. Alors la métamorphose comme poème de l’interpénétration : « ailes de lèvres » et « dans les baisers je parlais racontais explorais imaginais confondais ». J’aime cette confusion : chaos métamorphique du poème contre tous les ordres du sens et du discontinu et puis émeute et soulèvement contre les régimes et les rhétoriques. Cette confusion est d’abord une activité amoureuse qui plonge dans l’adresse, dans un langagement, la profération même murmurée, une retenue toute volubile.
Alors, il faut en venir aux vers et aux proses ou plutôt à ce qui, parce que « proses en action », met les vers en projection et donc tout simplement oblige à proférer, c’est-à-dire à ne jamais arrêter la lecture-écriture, à ne jamais bloquer le mouvement de la parole, le rythme et la relation, sur quelque stase qui empêcherait les voix fugitives, toutes les revenances, de passer, et surtout la force vocale d’agréger cette pluralité. Ce passage de voix qu’intensifie le poème est une métamorphose de tout parce que c’est un rapport plus qu’un transport, une volubilité où la voix n’est plus de l’ordre de l’identité mais de la relation qui ne cesse de (re)considérer, de (re)lancer. La ritournelle Luca et le ressassement Celan, la répétition Péguy et le ressouvenir Proust, le racontage Chaillou et le renversement Vargaftig, l’éboulement Parant et le demain dessus demain dessous Meschonnic, le peu Emaz et la reprise Sacré et d’autres d’autres qui cherchent la voix du dire-relation (je n’oublie pas ma genèse féminine : Desbordes-Valmore, Dickinson, Tsvetaieva, Bachmann, Rosselli et parmi d’autres contemporaines, Ariane Dreyfus) : le poème-métamorphose : elle en île dans un jeté de je-tu – voilà une formule qui continue le titre. Aucune indication générique ne vient perturber le titre, lequel défait tout genre, toute assignation culturelle ; toutefois, dans la notule de remerciements à la fin du livre, je parle de « roman de rimes », ce qui effectivement a orienté la tenue récitative du livre parce que la transformation y est au moins double, je l’espère. D’abord, les vers – qu’on ne peut penser isolément mais toujours dans leurs passages (enjambements et rejets, hémistiches et groupes accentuels – l’absence de ponctuation noire sauf quelques virgules que je laisse apercevoir pour leur valeur-battement souvent sur des « phrases » très longues, du moins aussi longues que le passage-poème car c’est le livre, le poème) y cherchent une force récitative, qui poursuit d’ailleurs ce que je pourrais appeler mes nocturnes – ces romans de nuit qui cherchent l’aube ou la nuit dans le jour (A jour avec les lavis de Ben Ami Koller a inauguré cette série que Claire la nuit a porté à l’incandescence juste après Ton nom dans mon oui) et non les lendemains (qui chantent alors qu’ils trompent : mon écriture vient d’un retournement de l’élan politique en 1975-76 accouplé à un engagement amoureux qui l’accompagnait et a dû réassocier une politique à une érotique), c’est-à-dire le présent d’une écoute quand « l’obscur travaille » : « tes clartés » dans « mes obscurités ». Ensuite, le romanesque (ou plutôt le récit auquel on a l’habitude de le réduire) est défait pour que s’entendent d’abord les rimes, leur roman ou le récitatif d’une course éperdue qu’aucune intrigue, qu’aucun scénario et encore moins qu’aucune métrique narrative ne peut tenir : le poème est hors mainmise, toujours la main donnée que j’évoque p. 159 et qui donnerait ce titre en partie dans les rimes de ce livre, ta main nue – la virgule… Jeux de mains (comptines) : poèmes-métamorphoses… Oui, j’aimerais continuer la lignée des Apulée et Kateb Yacine (son merveilleux Polygone étoilé), tous les deux. D’Apulée, je garde l’âne, bien évidemment (sans jamais oublier le beau film de Bresson…), mais aussi les onze livres des métamorphoses même si celui-ci n’en compte à vrai dire que dix introduits (ou plutôt relancés) par les citations en épigraphes : elles sont au nombre de onze !!! il manquerait donc une métamorphose : c’est le titre !!! et oui, il y a le burlesque qui m’est cher comme chez Apulée (mais on comprendra que cette proximité est une de mes approximations…) et puis s’il faut manger des roses, chiche !, « dans ta bouche ce jour »… De Kateb Yacine, outre l’épopée d’une lyrique démultipliant les subjectivations, j’aimerais continuer le mystère puissant de Nedjma, « cette fleur solitaire, lointaine, irrespirable, rose noire échappée à toutes les tutelles, cette sombre orpheline qu’on s’arrache toujours comme une arme secrète et dont nul n’était sûr, jamais, d’être le maître… », l’association de la plus grande douceur et de la violence redoutable, association impossible à prévoir ou à maîtriser… Dans l’écriture, j’aime œuvrer sans cesse à la retenue d’une volubilité et à la volubilité d’une retenue : une voix ensauvagée au cœur de gestes d’emmêlements pour « ce qui vient vers » (p. 169). Toi ou quoi autre ?
« reprise, de poète / à vie de vie / à poète / de l'une à l'un / de l'autre à / ta reprise » (p. 19)
Yann Miralles : Quelle fonction possède, dans ce livre, la citation ? Il y est souvent question d'auteurs aimés (la dernière page ferait comme un récapitulatif de l'ensemble : « j'écris en confondant Ovide Rilke / Tsvetaieva Pasternak Mandelstam », p. 172), mais également d'extraits de textes plus ou moins connus, plus ou moins décelables, disséminés dans le corps de ton texte. Surtout, il me semble que, dans ce vaste livre qui travaille la notion de « continu » (il s'(in)achève d'ailleurs sur ces mots de Claire Diterzi : « je vais là où ça commence », p. 173) – sans intertitres, sans « chapitres », sans ponctuation forte –, les citations qu'on retrouve une dizaine de fois en hauts de pages sont comme des titres de sections, à la fois pauses et orientations nouvelles pour le poème qui continue...
Serge Martin : J’ai déjà évoqué dans la réponse précédente une liste de noms – mais combien d’autres, oui, il faudrait réciter comme on récite les lectures qui continuent : c’est cela le poème-métamorphose aussi, la lecture continuée dans une écriture qui anonymise le plus personnel – c’est la force des œuvres que de pouvoir devenir l’œuvre de tous, enfants et savants, ignorants et lettrés (voir Le Maître ignorant de Rancière, son meilleur livre !) – et donne nom à tout ce qui pourrait s’impersonnaliser (j’attache une grande importance à la reprise de voix des sans-voix et, dans un genre qui trop souvent durcit les frontières avec l’éternel sommation d’une définition voire d’une essentialisation de la poésie, à défaire celles-ci non pour recycler dans le genre des ready-made mais pour trouver le poème de toutes les voix, des voix qui passent, des passages de voix ; bref, pour écouter !), sans compter ce rêve de tout poème d’une (r)assemblée de « combien de noms » : « et dans ce monde / nous nous reconnaissons », écrit Henri Meschonnic à la fin du livre avec ce titre. Mais oui, la reprise de voix, et non l’intertextualité, cette notion creuse quand l’écho des voix demande des (re)commencements, des (re)connaissances – au sens biblique et donc amoureux. C’est pourquoi, il y a certainement des noms qui sont des œuvres, c’est-à-dire des forces à l’œuvre dans et par les reprises, mais aussi des œuvres qui ont perdu leur nom ou n’ont pas encore de nom – je veux dire que je n’attache pas d’importance aux hiérarchies littéraires et encore moins à la délimitation d’un champ même poétique (je vais beaucoup au cinéma et cela revient très fort dans ce livre et toujours sans savoir), car ce qui compte ce sont des paroles vives, des appels, des échos, des résonances et alors le poème fait la résonance générale des voix qui viennent dans une voix ou plutôt qui engagent l’écoute d’une voix inconnue – celle qu’on ne se connaît pas autrement qu’à se perdre de reprise en reprise. Pas de poème sans ce racontage : voix continuées, passages de voix, voix possibles. S’aperçoivent peut-être les rapports forts de l’amour et du politique, du faire société contre tout ce qui défait les voix : réduction de la voix à l’individu, du lyrisme au moi, de l’épique à l’héroïsme ; agglutination des voix dans une majorité (vs. minorité) ou dans un collectivisme sans collectif, dans une communautarisme sans communauté, dans une République sans citoyen, dans une école sans élève – ce mot qui perd vite sa force d’émancipation critique, d’égalité sans égalitarisme… On aperçoit avec ces quelques pistes tout le travail ou plutôt le combat et encore l’emportement que portent les citations qui refusent toute autorité (œuvrer à dés-auratiser) autant qu’elles refusent toute table rase qui pose souvent un auteuritarisme (qui ré-auratise ou re-purifie) ! Contre cette auteurité avec ses historicités réactionnaires ou avant-gardistes, ne jamais cesser d’essayer d’écouter les voix qui nous portent, les voix qui nous aiment, les voix qui nous mettent en relation.
« tout se voit dans l'écoute en voix » (p. 43)
Yann Miralles : Un passage du livre (p. 43) parle des « lectures publiques [...] entre performances et / sermons entre vociférations et lectures blanches », et tu développes, dans ton travail de recherche, une réflexion sur « l'oralité », c'est-à-dire le refus, à la suite d'Henri Meschonnic, de séparer l'écrit et l'oral. Par ailleurs, tu as nommé « récital » une récente rencontre autour de Tu pars, je vacille – et qui t'a entendu lire sait toute la valeur que tu accordes à cette activité. Là encore, pourrais-tu en dire plus quant à ce qui peut apparaître comme une remise en cause de nos schémas de pensée (par ex. la poésie écrite, « silencieuse » vs. la poésie orale) ?
Serge Martin : Ta question recouvre bien des discussions qui agitent le milieu poétique depuis déjà de nombreuses années, mais également l’enseignement ou encore la recherche littéraire voire théâtrale et artistique. Je commencerais bien, là encore, par quelques dissociations, lesquelles ont été sans cesse réactivées par bon nombre de poètes voire chercheurs mais également sans cesse déposées voire effacées par d’autres : conflit multiséculaire entre des traditions qui ne peuvent s’entendre… Il s’agit donc de déconfondre l’oral (oralisation, parlé) et l’oralité (mouvement de la parole : tout discours parlé ou écrit mais aussi filmé, dansé, joué…) en tenant compte des dualismes qui s’ensuivent : anthropologique (vif/mort), politique (majorité/minorité) et éthique (expérience esthétique/ordinaire) sans parler des confusions courantes des blancs et des silences, de la ponctuation et des signes de ponctuation, de la métrique et des vers, de l’absence de rythme et des proses… D’une part, il s’agit de penser le continu des activités humaines et d’autre part d’augmenter l’attention vers la force dans le langage : j’appelle ce parti pris qui engage l’écoute, une relation de relation. Si, dès que langage, et donc la considération des historicités qui ne cessent de s’engrener, tout se tient, des gestes aux paroles, des petites aux grandes unités, alors il n’y a que des ré-énonciations (énonciations continuées) – ou des dés-énonciations quand la relation est défaite ou, ce qui revient au même, l’œuvre est achevée (morte !), c’est-à-dire quand le discontinu l’emporte sur le continu. Walter Benjamin dans son Raconteur écrit dans une parenthèse : « (Car même celui qui lit un poème est enclin à lui prêter sa voix pour un auditeur éventuel) ». Cette incidente signale que tout poème (au-delà certainement du genre) demande de « prêter voix » non seulement pour oraliser mais pour « passer » le poème : « recherche de l’interlocuteur providentiel » chez Mandelstam. Cette incidente venait comme prolonger cette remarque qui lui donne sa tonalité fondamentale : « Celui qui écoute une histoire se trouve en compagnie du raconteur ; même celui qui la lit partage cette compagnie » où Benjamin n’oppose pas deux activités, du moins en pose le continu d’écoute et donc de vocalité, de trans-subjectivité comme passage d’expérience, de voix, d’écoute… et donc relation. J’ai écrit, il y a plus de dix ans, dans un numéro de revue didactique un article au titre quelque peu provocateur mais il se situait très précisément dans le prolongement de ces réflexions de Benjamin ou de Mandelstam : « quand les poètes lisent, qu’est-ce qu’ils écoutent ? » J’y évoque un très fort texte de Tsvetaïeva dans lequel elle rend compte de son expérience qu’elle résume par sa tentative de « chambre du rêve ». Avec cette notion, c’est bien évidemment toutes les catégorisations habituelles qu’il nous faut contester : celles en particulier de production/réception (avec la dichotomie lecture/écriture), celles qui découlent de la conceptualisation par la réception (souvent prise dans le consumérisme) comme la notion de public, de spectateur (je comprends tout à fait que Claude Régy refuse cette dernière !) pour aller vers des inventions de lectures comme écritures continuées, comme écoutes ininterrompues, comme relation nouvelle. Bref, il faut aller vite vers ce qu’un Maeterlinck proposait il y a plus d’un siècle et qui n’est pas sans résonance avec ce mot de Tzara : « je pense à la chaleur que tisse la parole / autour de son noyau le rêve qu’on appelle nous ». Donc Maeterlinck dans les Confessions d’un poète : « Il y a dans notre âme une mer intérieure, une effrayante et véritable mare tenebrarum où sévissent les étranges tempêtes de l’inarticulé et de l’inexprimable, et ce que nous parvenons à émettre en allume parfois quelque reflet d’étoile dans l’ébullition des vagues sombres. Je me sens avant tout attiré par les gestes inconscients de l’être, qui passent leurs mains lumineuses à travers les créneaux de cette enceinte d’artifice où nous sommes enfermés. Je voudrais étudier tout ce qui est informulé dans une existence, tout ce qui n’a pas d’expression dans la mort ou dans la vie, tout ce qui cherche une voix dans un cœur. »
Je passe sur toutes les suggestions que portent ces réflexions – et, en particulier, sur celle d’un inconscient du vivre-écrire-lire qu’on ne peut réduire à l’inconscient freudien : oui, « tout se voit dans l’écoute en voix » ! – pour ne garder que la notion d’étude (« je voudrais étudier ») parce que c’est au fond l’orientation décisive qui motive aussi bien mon travail d’écriture, dans tous les domaines en tentant toujours de défaire leurs frontières, que mes échanges (cours ou lectures, ateliers ou conférences) ; et tous ces moments, toutes ces expériences au sens de Dewey, qui essaient de faire la même étude prolongée, relancée, toujours (re)commençante : « étudier tout ce qui cherche une voix » ! Voilà, je cherche une voix : une relation pleine de voix…