Renaud Ego a publié ce poème en mémoire de son ami Alain Jouffroy, décédé le 20 décembre 2015.
Ce texte est paru dans la revue Paysages écrits n° 26. On y trouvera plusieurs autres textes de ou autour d’Alain Jouffroy et un très riche sommaire. Consultation libre et gratuite, ici.
À l’un multiple
pour son ami Alain, le 20 décembre 2015
Réveillé à six heures je sais.
Me levant, soupesant le silence, je sais.
À la fatigue qui distinctement articulée
tinte dans mes os je sais qu’
Alain vient de mourir
qu’il n’est même plus ce fil infime
où il s’infinisait ces jours-ci
qu’il s’est élucidé,
qu’il est devenu souffle
qu’il est redevenu vent
au tour de la terre
afin que notre peau nous alerte,
– comme elle le fait depuis toujours
d’être ce rêve réalisé du vent
un corps
– que l’invisible vie gît en nous
qu’elle est le sommeil
où l’existence erre
de ne pas vivre encore
Éveille-la
écoute-la
découvre-la
décomble-
-la de toi qui pourrais être
sinon si vite
nulle part ici jamais toujours décombres
quand il est temps et oui
à chaque instant
d’être vigie et longue vue
et longue vie dans la vie brève
d’être
en un mot
nu
le courant
de l’extrême fragile
geste
emporté
de se découvrir
tout entier le monde,
et d’être
en deux mots nus
le nu ébloui
à en avoir le souffle coupé
le souffle du coup
jamais essoufflé
mais soulevé par tout
ce qui se lève
les nuées
les buées
les beautés
à inspirer pour n’être pas tué
à respirer pour s’envoûter dans le multiple
à expirer pour transfigurer l’unité
même ce matin tiédi en gris d’hiver
qui, pour la première fois
depuis quatre-vingt-sept ans,
se lève et hurle hors
de celui qui y faisait tinter
la menue mentale malice
d’une petite cuiller dans un bol
où ouïr le cristal de l’éclair
Renaud Ego, in revue Paysages écrits n° 26, pp. 31 et 31
Renaud Ego dans Poezibao
bio-bibliographie, extrait 1, La légende des yeux (par P. di Méo)
Alain Jouffroy dans Poezibao : bio-bibliographie, extrait 1