Poezibao a posé à plusieurs de ses correspondants la question suivante :
L’art est-il, pour vous personnellement, dans votre vie quotidienne, un recours en ces temps de violence et de trouble(s) et si oui en quoi, très concrètement, littérature, musique, arts plastiques ?
Réponse de Marc Dugardin
Le café est sur la table de travail, l’ordinateur est allumé, le geste de lever la tasse sera un signe d’amitié vers quelqu’un que je devine, là-bas, cherchant lui aussi à se dépatouiller avec le jour qui commence, parmi ses mots, ses couleurs, ses silences, puis, peu à peu, les cris de la maison qui s’éveille.
Le regard alors, autour de moi. Et sans oublier le ciel à travers la vitre, les lumières qui peu à peu le gagnent, le salut vers les arbres dont les silhouettes vont émerger de la nuit. Puis vers la petite sculpture, en terre réfractaire, où un ami a inscrit un mal qui ronge et cet homme souffrant est aussi une présence fidèle dans la pièce et, parfois, son épaule s’irise quand le soleil traverse les stores. Regard qui se tourne, encore, vers les toiles des amis, leurs gravures – les dessins des petits-enfants aussi.
Puis ce sera le disque choisi, la musique que je vais écouter. Ma surprise parfois face à mon propre choix, plus ou moins délibéré, plus ou moins comme un hasard. Avec qui, même seul, vais-je l’écouter ? Par qui, dans cette écoute, me sentirai-je écouté ? Car il arrive que celui qui écoute éprouve cela : écoutant de la musique, il y est lui-même écouté. Cette réflexion, Florence, elle t’avait frappée, tu me l’avais renvoyée en écho, c’était à moi alors de la recevoir comme si elle venait me surprendre.
Je suis peut-être bien en train d’esquisser une réponse à ta question…
Musique. Classique, souvent. Jazz, plus rarement. Ou musique sans étiquette, venue du Japon, de Roumanie, d’Afrique… Musique qui, si douloureusement quelquefois, creuse. Ou qui, inexplicablement, apaise, allège, rassure. Nous gagne. Vient nous chercher, me disait un jour une amie, tandis que nous écoutions un lied de Richard Strauss (Befreit, opus 39, n°4).
A présent les mots. Ceux, découverts dans un message, qui conduisent vers tel livre, puis ce livre vers un autre. Cette citation qui revient en mémoire – je l’avais recopiée dans mes carnets le 17 mai 2013 : Les livres que j’aime ne réclament rien pour eux seuls, ils me donnent accès à quelque chose qui les a absorbés – dans les deux sens du terme – et qui compte définitivement. (…) Belle puissance, force donnée autant à celui qui écrit qu’à celui qui lit, car si la langue est capable de cela, nous aussi. Ce sont des paroles d’Ariane Dreyfus et je crois bien que c’est une note de lecture d’Antoine Emaz, dans Poezibao, qui avait d’abord attiré mon attention sur son livre, La lampe allumée si souvent dans l’ombre. En recopiant cet extrait, j’en avais souligné les derniers mots et il me semble qu’avec eux je continue un peu à te répondre…
Paroles qui s’engagent, osent affirmer – je prends appui sur elles, moi qui n’avance en général qu’en balbutiant. Mais c’est cela, oui, qui compte (et me voici aussitôt renvoyé à ces mots de Claude Mouchard, dans son introduction aux Poèmes de la bombe atomique de Tôge Sankichi, que j’ai déjà cités à maintes reprises : Et la poésie retrouve sa raison d’être en dénombrant tendrement des existences : tout ce qui, en fait, compte – ou aurait dû compter).
…
Une toile, une musique, un poème, qui donnent accès. Qui donnent de la force.
Un recours - que, malgré tout, cela soit (encore) possible…
Marc Dugardin