Lucien Suel a publié récemment Ni bruit, ni fureur, à La Table Ronde.
Livres de jeunesse
Je suis Michel Strogoff sur le chemin
d’Irkoutsk au fond du jardin derrière
les troènes houspillant l’attelage de
ma troïka tâtonnant les yeux fermés à
travers les parcs de légumes ô maman.
Je suis Robinson Crusoé faisant cuire
mes patates dans un feu de fanes œil
aux aguets au sommet d’un vieux saule
surveillant l’océan de poireaux l’eau
douce coule doux sur le nuit du jour.
Je suis Croc-Blanc mastiquant un bout
de viande gelée de carotte zigzaguant
dans les choux amas de neige grondant
sur les framboisiers pleins de sang à
quatre pattes grr grr lune du pylône.
Je suis Buck John sur un cheval blanc
au galop en courtes culottes dans les
cendres de l’allée me donnant sur les
fesses des tapes retentissantes coups
de feu claquant comme la langue kchh.
Je suis Winnetou la tête encerclée de
liserons rampant silencieusement dans
les graminées lançant le tomahawk sur
les betteraves sous le tipi des draps
secs fumant le calumet de sureau ugh.
/
Madeleine
Un tourbillon de fumée bleue
traverse la route devant la voiture.
Le parfum de l’herbe brûlée
s’engouffre par les glaces ouvertes.
Les neurones rendent hommage
au nébuleux encenseur dont la flamme
exalte les réminiscences du lointain passé,
les bribes d’un éther inachevé.
L’humble jardinier est sans doute
aussi éloigné que le conducteur
de cet endroit où l’espace devient le temps,
de cette expansion où le temps devient l’espace.
C’est ainsi.
Vienne le kilomètre ultime !
Vienne l’époque de la terre brûlée !
Torche humaine à l’aplomb de l’univers.
La fumée pique les yeux et monte à la tête.
les vies transformées des graminées,
composées et autres crucifères, s’échappent
dans un vol de gaz carbonique et de bitume
au milieu des pensées – autres fleurs – essentiels d’un navigateur céleste.
/
Rame
rame sésame rime Sisyphe rame ces ifs
aux bords du canal flaques et bassin
émaillés nuages blancs dérivant entre
les lentilles la main se ferme sur la
serpe la serpe taille les branches du
frêne l’autre main a façonné forgé le
métal dans le temps forge encore dans
le temps les yeux plongent dans l’eau
rime ces âmes rime rame rame rime eau
les yeux plongent dans les nuages les
poissons planent au ciel rame Sisyphe
sur le monde rame sésame pour inonder
le monde les ifs dessus les tombes se
penchent se relèvent le Styx grésille
dans le noir au nord d’ici Caron rame
sillage de la barque ligne d’écriture
rime sésame rame Sisyphe rime ces ifs
la main est devenue translucide l’eau
glisse entre les ongles les nerfs les
veines les souvenirs enflent la voile
une bulle colorée au-dessus de la nef
les frênes étêtés bourgeonnent encore
sur les bords du canal la fumée monte
nuage bleu une dilatation de l’esprit
eau rame ces âmes rame rime rime rame
Lucien Suel, Ni bruit, ni fureur, La Table Ronde, 2017, 175 p ., 16€, pp. 66, 67 et 113.
Lucien Suel dans Poezibao :
Bio-bibliographie, "Lecture" poétique 23, extrait 1, Mort d’un jardinier, (par FT), Mort d’un jardinier (par B. Moreau), Les Versets de la bière (par JP Dubost), un entretien avec S. Courtoux, ext. 2, Feuilleton, La Justification de l’Abbé Lemire, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, ext. 3, "Je suis debout", par Jean-Pascal Dubost
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