Trois « brèves de lecture » :
Emmanuel Merle, Démembrements, par Alexis Hubert
Cédric Le Penven, Juste un arbre Juste, par Jacques Morin
Ainsi parlait Rainer-Maria Rilke, par Isabelle Baladine Howald
Emmanuel Merle, Philippe Agostini
Démembrements
Éditions Voix d’encre, 2018, 95 pages, 19€
« Mon corps est un pays démembré, un assemblage désolidarisé » (page 10): voici le sombre constat qui ouvre ce recueil d’Emmanuel Merle, dont le corps des poèmes est soumis lui aussi au morcellement ; souvent autonomes, hybrides entre prose poétique aux multiples rythmes phrastiques et précipités de vers abrupts et sans ponctuation, les poèmes forment un ensemble de démembrements par les reprises de livres pauvres et livres d’artistes avec des peintres, comme autant d’expériences fragmentaires du monde traversés par le corps, le regard, le geste et la couleur, la nécessaire présence de l’autre. La recherche de cette présence - le recueil dont l’exergue est emprunté à Yves Bonnefoy est pénétré de l’influence du poète, et l’on retrouve certains de ses motifs comme le don, le vrai lieu, l’au-delà de Merle qui fait penser à l’arrière-pays…) ne se départit en effet jamais d’un certain « effroi » quant à l’impossibilité de « coudre nos existences »(page 29) à un infini de l’instant, sans cesse troué par l’absence, le silence, l’oubli et la mort. Tout l’enjeu de l’écriture est alors de remembrer, pour « se souvenir que l’attraction qui nous cloue n’empêche pas la poussée du sol »(page 23), façon d’accompagner les mouvements baroques d’un phrasé en autant d’élancements de mots qui font déborder la parole et lui donner la dimension d’une voix, qui peut alors traverser le corps des autres, les souvenirs enfouis, les mutités de la nature, en autant d’échos, d’espaces vibratoires et de circulations sonores, pour peut-être, encore une fois, fugitivement, « accéder au mystère que d’être emporté jusqu’au nord brûlant du nouveau jour et espérer en vain un air aussi rare qu’une parole vraie »(page 61).
Alexis Hubert
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Cédric Le Penven / Jean-Gilles Badaire
Juste un arbre Juste
Æncrages & Co, 2018, 21€
Le point de départ, c’est le dessin d’un arbre de Jean-Gilles Badaire adressé à Cédric Le Penven, qui lui rappelle sa part de travail, comme la taille des fruitiers que l’auteur connaît bien, et qui convoque surtout sa faculté de rêverie. Toujours l’imbrication entre ce qu’il vit et ce qu’il écrit. La prose pose petit à petit le poème. Cet arbre, c’est le visage du peintre. La correspondance est manifeste entre les traits de l’un et de l’autre. Le poète possède cette façon d’incarner la chimère, avec sa droiture et sa paternité revendiquée. L’énigme de cet arbre face à moi, du visage de mon fils. Cet arbre représente à l’évidence la nature dans laquelle l’écrivain se trouve chez lui, loin de l’étouffoir des villes et des leurres de la société de consommation. Cette auscultation du monde alentour revient à prendre le pouls de son existence. Il reste le titre avec des majuscules aux Juste répétés. Origine du poème d’un côté et de l’autre la beauté qui fait tout le prix de sa poésie.
Jacques Morin
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Ainsi parlait, also sprach Rainer Maria Rilke
Bilingue français-allemand, traduit de l’allemand et présenté par Gérard Pfister.
Arfuyen, 2018, 176 p. 14€
Dans la collection « Ainsi parlait… », collection d’extraits en introduction à une œuvre et qui regroupe à présent 8 titres, Arfuyen propose un Ainsi parlait/also sprach Rainer Maria Rilke. C’est le Rilke préoccupé de spiritualité et d’éthique qui est ici traduit par Gérard Pfister, qui consacre également une préface émouvante et profonde à ce recueil. Il nous rappelle l’engagement moral du poète tout au long de sa vie, son choix de solitude et de travail, ses difficultés de création et le jaillissement des Élégies de Duino ou des Sonnets à Orphée… La figure de Wera, une amie de sa fille, décédée très jeune de leucémie, maladie dont mourra Rilke lui-même plus tard, hante ces pages. Un travail d’anthologie de ces « dits et maximes de vie » est mené, chronologiquement. C’est l’occasion de retrouver l’éblouissement que cette poésie procure : « Rose, ô pure contradiction, désir / de n’être le sommeil de personne sous tant de / paupières ». Épitaphe de Rilke, enterré dans le Valais, et pur poème.
Isabelle Baladine Howald
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