« L’écho persistant d’une lointaine enfance », écrit Pierre Bergounioux dans l’exemplaire dédicacé que je lis aujourd’hui, Jean-Paul Michel parlant de « lettres retrouvées, de poésie et d’amitié ». Et ils plongent loin dans le passé, cette amitié et cet écho, plus loin que la correspondance offerte ici, jusqu’aux années 1960, jusqu’au moment où « un fil de lumière a touché nos jeunes années » (PB), jusqu’à une adolescence partagée qui semblait enfin ouvrir des perspectives que l’enfance ne pouvait même pas concevoir.
Des échanges de grâce, de gratitude, de simple plaisir et, parfois, d’intensité critique. Des échanges de deux hommes qui choisissent la voie de la réflexion, de l’écrit, du rapport à l’étrange, exigeante et dure expérience de ce qui a été et de ce qui, malgré tout, peut être. Mais cette voie, globalement unifiée, visant clarté, bien-être, ouverture, beauté, diverge de façon importante dans ses modalités, Pierre Bergounioux devenant le poète-historien précisément de ce peuple, rural, pauvre, privé de presque toute connaissance du monde extérieur, de l’époque qu’il avait vécue, enfant, de tout ce qui l’avait précédée, fondée, ensevelie presque dans les rudesses, les rigueurs et brutalités que documentent avec compassion ses récits. Si un tel geste récupère et, élucidant, réinvente, c’est sans doute grâce à un profond et intime amour, qui a persisté, patient, bienveillant, large d’esprit, pour un pays et une société que Bergounioux tient à honorer au-delà de ce qui lui aurait répugné. Jean-Paul Michel parle d’une « vie vivante [qui] tremble dans chacune de [s]es pages », déclarant dans une lettre du 16 février 2016 que « celui qui, dans deux siècles, voudra savoir quelque chose du jour le jour de la vie en France à la charnière des deux siècles pourra compter sur Pierre Bergounioux ».
L’œuvre de Jean-Paul Michel puise plutôt dans la violence d’un « feu », d’une « héréti[cité] », écrit Pierre Bergounioux, d’une « fixité du vouloir, [d’une] fidélité à toi-même, contre vents et marées, au non primordial, opiniâtre, réaffirmé, [l’opposant] jadis à la misère cantonale, aujourd’hui aux puissances ennemies, planétaires ». Dominera toujours, écrit Michel en 2008 dans une lettre à Bergounioux, et pour les deux hommes, cette « déraisonnable foi en la beauté, la vérité et l’amitié ». « Fougueux’ »et « explosif » (PB), certes, Michel est aussi le poète de la nécessité de ce que Cédric Villani, Michel le citant, appelle le « transport optimal » : ce mouvement de l’esprit et du cœur résolu à puiser dans toutes les ressources de ceux-ci afin de montrer à quel point un certain « art de l’être », hautain, exigeant, dirait Gérard Titus-Carmel, audacieux et infatigable, quelque part parfaitement innocent, peut fonder une présence au monde digne de « l’immédiate nécessité de nos cœurs » (JPM).
Si les deux écrivains sont fatalement tiraillés à bien des égards entre ce que Pierre Bergounioux appelle « le miracle des années soixante qui vit des gamins percer les ténèbres où nous étions ensevelis » et la malheureuse déception « au regard, écrit Jean-Paul Michel, des lendemains de liberté universelle qui semblaient, aux adolescents que nous fûmes, promis avec certitude aux générations à venir », cette Correspondance 1981-2017 témoigne avec détermination et la délicate force d’une inébranlable amitié de ce qu’un livre – poème, récit, essai, roman – peut, malgré tout, oser accomplir.
Michaël Bishop
Pierre Bergounioux et Jean-Paul Michel. Correspondance 1981-2017. Verdier, 2018, 224 p., 17€.
Commentaires