« Chaque poème est une navette,
cet outil à passer le fil
dans le métier à tisser. »
C’est un plaisir avec Epopopoèmémés et Exils de mon exil de retrouver le rythme et la prosodie de Sanda Voïca. Trajectoire déroutée invente dans le langage son propre passage de la voix dans le poème. Un continu dans le langage et la vie. Un poème magnifique qui tient autant de La Piéta de Michel Ange que du Stabat Mater de Vivaldi. Un poème qui commence par l’insidieuse question-réponse qui ouvre le recueil : « C’est quoi une fenêtre ?/ Mon squelette récent » pour se suspendre sur un authentique « Me voilà ». Me voilà comme possibilité de se voir là – au-delà de tout tremblement – que Sanda Voïca guette comme poésie. Le poème est comme la vie un acte de création toujours nouveau dans le langage : « Chaque vie est une fenêtre/ vers un tableau vivant » nous dit Sanda Voïca. Il faudrait parler ici de l’amitié de Sanda Voïca pour le peintre Roberto Matta. Pour le poète, les peintres sont ceux qui vous apprennent à voir. Plus rien alors n’est pareil. Sanda Voïca se sert constamment de son corps comme un instrument. C’est une trajectoire déroutée comme la ligne sur la page qui évoque et dit la disparition de la fille musicienne aussi (Clara dédicataire du livre : Pour Clara Pop-Dudouit (1994-2015)) : « La douleur ronge/ les crayons/ les feuilles/ mon clavier. / M’en extraire :/ injonction futile et permanente/ mais structurante :/ je suis celle qui s’extrait de MON jour/ et de SA nuit ». Sanda Voïca tient à la portée de tous son négatif : « Le bonheur ? / Quand s’abstraire de tout/ est aussi riche/ qu’embrasser, chevaucher/ tout toucher.// Parfaite cariatide :/ j’ai pris la forme des caresses/ que j’ai eues et pas eues./ Je soutiens le jour naissant ». C’est une écriture lyrique du désir comme les poètes Annie Le Brun et Jacqueline Risset. Un écrire qui touche au proverbe, c'est-à-dire au temps et à l’histoire : « On vit en immortels, / On meurt en mortels ». Il y a dans ce poème libre ce phrasé que l’on rêverait d’avoir écrit soi-même : « Ma paume immense et lisse/ caresse la nuit couvrant/ moitié de la terre. / Elle protège la planète./ Je protège la nuit./ Contre quel criminel ? Je n’ai plus de doigts/ juste la paume géante/ et dans son creux la nuit immensément fragile : elle va disparaître. L’aube y aidera. De mes pas attraper l’absence parfaite : le très haut des jours, son air bleu royal ». La voix de Sanda Voïca est une écoute du sujet dans son propre inconnu.
Arnaud Le Vac
Sanda Voïca, Trajectoire déroutée, Editions Lanskine, 2018, 78 p., 14€.
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