Anne-James Chaton publie L’Affaire La Pérouse aux éditions P.O.L. (En librairie le 4 avril)
Hypothèse n° 4 : la maladie
Et si ce n'est pas l'une des espèces de poissons mentionnées dans l'hypothèse n° 3 qui aura eu raison des marins, cela aura pu être le fait d'une épidémie survenue à bord de l'un ou l'autre des bateaux.
Les matelots auront pu contracter le scorbut,
une fièvre pestilente ou maligne, sans doute un paludisme pernicieux,
ou alors,
une fièvre continue, pourprée et pestilente,
ou alors,
une fièvre simple ou intermittente, la malaria,
due aux moustiques dans l'eau croupissante
du fond de cale,
ou alors,
une fièvre putride, telle la typhoïde ou plus souvent
le typhus, en raison des nombreux poux du corps
vivant de la malpropreté des hommes,
ou alors,
une fièvre éruptive, telle que la rougeole,
ou alors,
la variole,
ou alors,
la scarlatine,
ou alors,
une simple diarrhée,
ou alors,
une dysenterie alimentaire,
ou alors,
un « flux de sang », avec selles fréquentes,
glaireuses, sanguinolentes, accompagnées d'une
odeur insoutenable,
ou alors,
des maladies vénériennes, une gonococcie,
avec lésions ophtalmiques et rhumatologiques,
ou alors,
la syphilis.
Et malgré tous les efforts d'un médecin du bord
ayant inoculé coup sur coup aux malades
de la rhubarbe, des graines de lin, de moutarde et
de genièvre, de l'alun de roche, de l'ipecacuanha,
du vif-argent, du alap en rouelles, des fleurs
de pavot rouges, des aristoloches longues et
rondes, du gingembre, du safran oriental,
du réglisse en bâtons, de l'ellébore blanc,
du benjoin, de la salsepareille, du senné du Levant,
du tamarin, de l'ioès, de la racine de guimauve,
de l'écorce de quinquina et de gayac,
du semen-contra, de l'agaric, de la camomille,
des mouches cantharides, des plantes aromatiques,
du mélilot, de l’encens fin, des amandes douces,
des roses rouges, du camphre raffiné, de l’anis vert,
de l’antimoine cru, de la coriandre,
sous formes d'électuaires et de confections,
d'opiats et d'extraits,
de poudres et de pilules,
de trochisques et de pierres,
de sels,
de miels et de sirops,
d'eaux simples et composées,
de teintures et d'esprits,
d'huiles,
de baumes et d'onguents,
d'emplâtres,
de préparations diverses,
rien n'y aura fait,
et les hommes seront morts dans d'atroces
douleurs.
Anne-James Chaton, L’Affaire La Pérouse, éditions P.O.L., 2019, 160 p., 16,90€
sur le site de l’éditeur :
« A-t-on des nouvelles de monsieur de La Pérouse ? » aurait demandé Louis XVI alors qu’il s’apprêtait à monter sur l’échafaud. Nous sommes en 1793 et malgré tous les efforts de l’expédition de recherche dirigée par l’amiral d’Entrecasteaux, il n’y a aucune trace du lieutenant de vaisseau Jean François de Galaup, comte de La Pérouse, parti de Brest le 1er août 1785 pour un voyage d’exploration autour du monde aux commandes de L’Astrolabe et de La Boussole. Le mystère n’a fait que s’épaissir, et ce malgré les enquêtes menées par les députés de l’Assemblée Nationale de 1791 jusqu’aux récentes recherches de la gendarmerie nationale de Rosny-sous-Bois.
L’auteur et performeur Anne-James Chaton reprend l’enquête à zéro, et puisque rien n’a permis jusqu’à présent de résoudre l’énigme, il use d’autres méthodes. L’affaire La Pérouse convoque les journaux de bord de James Cook et de Bougainville, les grands romans d’aventure de mer et de piraterie, de Daniel Defoe, de Robert Louis Stevenson, de Jack London, les maîtres du roman policier comme Agatha Christie et le cinéma des années 60, grands pourvoyeurs d’épopées maritimes. L’auteur puise dans ces œuvres une multitude d’indices et établit de nouvelles pistes de recherches sous formes d’hypothèses : La Pérouse aura pu subir un empoisonnement alimentaire, une rafale de vent, il aura été victime d’un assassinat ou d’une mutinerie ; il aura été attaqué par un animal marin, une baleine blanche, ou il aura succombé à la tentation d’une robinsonnade... Les 23 hypothèses développées dans le livre sont rythmées par les témoignages des personnages des romans d’aventures, par les géographies maritimes, par les chants de marins. L’affaire La Pérouse, en prenant le parti de la poésie, apporte un éclairage indéniable à cette troublante affaire et ne manquera pas de faire date dans l’histoire des techniques d’investigations policières.
Ce texte est à l’origine d’un spectacle sonore créé en novembre 2018 au Théâtre de Montreuil, et en tournée dans plusieurs lieux en 2019.
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