« Oui, l’incertaine, l’insistante… » (TE, 318) écrit Marie-Claire Bancquart dix ans avant de nous quitter, pensant à cette trace de chaleur et de lumière que laissent les mots inscrits sur l’à peine envisageable page de l’être toujours renouvelant sa blancheur. Mais le consentement l’emporte au-delà de l’aveuglement, du doute, de l’angoisse, le oui s’avérant implacablement, comme par une improbable fatalité surgissant de ce lieu/non-lieu que tous ses gestes cherchent à creuser, signe d’amour, de compassion, d’affinité au cœur de l’énigme de ce qui est, de ce qui nous est donné à voir-méditer-vivre selon nos urgences. « Le plus petit oiseau fait encore une ombre sur la terre » (375), lisons-nous à la presque fin de ce recueil que préface si sensiblement, si pertinemment Aude Préta-de Beaufort, et c’est cette ombre, cette présence simultanément urgente, sentie, parfois effleurée, et voilée, élusive, équivoque, qui, dans tout son délicat, précaire et mortel être-là, ne cesse d’attirer l’œil, l’oreille, tout le corps et l’esprit de cette discrètement courageuse et si inlassablement, si richement curieuse auteure de Proche (1972), de Mains dissoutes (1975), d’Opportunité des oiseaux (1986), d’Énigmatiques ((1995), d’Avec la mort, quartier d’orange entre les dents (2005), jusqu’aux derniers recueils, Qui vient de loin (2016) et Tracé du vivant (2016).
Poète, ainsi, du sensoriel et d’une secrète sensualité, loin du confessionnel d’une Anne Sexton ou d’un John Berryman et pourtant subtilement intime dans son refus de l’abstrayant tout comme dans sa caresse du mythologique et son interrogation résolue de ce qu’elle voit comme « le silence des dieux » (305) ou « l’impossible » (330), Marie-Claire Bancquart reste à jamais la voix d’une immense et sans doute parfois difficile gratitude face à ce qui est et « sans preuve de ce qu’est la vie » (366). Ce que Yves Bonnefoy appelle les « choses du simple » restera toujours pour elle source d’énergie, la poussant à « cajole[r] / mord[re] / multiplie[r] le présent » (352). Écrire pour elle devient ainsi ce geste qui se trouve obligé de composer avec les complexités, les frustrations et les offrandes du « provisoire », refusant de « pleurer sur le sacré » et saisissant l’occasion de s’expliquer au sein des absences et des fragiles plénitudes de son vécu. Si des sentiments d’exil surgissent, c’est toujours par le biais de son corps, pourtant vulnérable, et de son esprit, indomptable, que Marie-Claire Bancquart réussit à se « rapatrier » (cf. 311). Car le monde « est de haute venue », affirme-t-elle (314), et, au cœur même de ses violences, planétaires et privées, elle sent s’accomplir, improbablement, quelque chose d’ « œcuménique » (272), d’unifiant selon des préceptes caritatifs, généreux, « un invisible, lit-on dans Énigmatiques, soyeux / patient ».
Lire Marie-Claire Bancquart, c’est entrer dans un monde à la fois de tendresse et de réflexion judicieuse, mesurée, sans prétention mais axée sur une manifeste nécessité de dire vrai, d’honorer l’expérience subjective de la vie dans ses coins et recoins les plus apparemment familiers et les plus honnêtement méditables. On la remercie vivement pour tant de fertilité, tant de largesse.
Michaël Bishop
Marie-Claire Bancquart, Terre énergumène précédé de Dans le feuilletage de la terre et de Verticale du secret, préface d'Aude Préta-de-Beaufort, Collection Poésie/Gallimard (n° 541), Gallimard, 2019, 400 p., 9,30€
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