« Aux adeptes de la poésie descriptive et explicative pour laquelle Dante, à tout jamais, signifie peste et terreur ». Ossip Mandelstam. Entretien sur Dante (avril-mai 1933)
« O cette pro-
ximation. Mais encore,
là où tu dois aller, l'unique
cristal
exact ».
Paul Celan
Le « Parler doré » de Michel Orcel
La Dogana publie la nouvelle traduction de L'Enfer de Dante par Michel Orcel (qui a traduit Leopardi, Michel-Ange, l'Arioste et le Tasse) dans une édition impeccable et bilingue.
Avec cette nouvelle traduction d'une scrupuleuse littéralité, nous pressentons, éprouvons et vérifions que nous pouvons descendre en « Enfer » SEULS, c'est-à-dire sans l'obligation d'avoir sous le coude pour chaque vers Masseron, Longnon, Risset (chacun son choix) mais aux RISQUES ET PÉRILS du traducteur. Et c'est une des singularités de la version de Michel Orcel, version à la fois tendre et batailleuse, acérée et presque farouche que de ne rien nous épargner des conflits, attentes, impatiences qu'impose la langue éruptive de Dante. Pourtant le traducteur sait se faire léger et laisse filer des beautés fugitives.
Nous descendons proches de Dante, lui-même proche de Virgile proche des ombres, proche des tourments. Nous descendons comme duc et faucon. C'est ce lien de proximité -du plus proche au plus lointain- que le traducteur questionne sans relâche et incarne subtilement dans une inventive caisse de résonances. (Non la rime lourde en français n'est pas « l'épiphanie de l'ordre »; non la "convertibilité du matériau poétique » si chère à Mandelstam, si inaccessible, n'est pas réductible au jeu des rimes !).
Michel Orcel fait percevoir -rend audible, rend visible- l'audace de Dante. Que Dante soit devant nous, Mandelstam le premier l'a écrit dans un livre qui est le plus beau livre sur Dante et le plus beau livre sur la poésie tout court. Cette nouvelle traduction inscrit Dante dans une filiation : Celan fils de Mandelstam fils de Dante fils de Virgile. Une descente qui est aussi une remontée jusqu'à l'exact cristal « dont s'émerveillerait cœur le plus sûr ».
Albane Prouvost
Dante Alighieri, La divine comédie, L’Enfer, traduction nouvelle de Michel Orcel, La Dogana, 2019, 464 p. 35€.
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