Ovaine, tous les soirs dresse les cheveux des spectateurs sur sa tête. Un numéro de haute voltige.
Gove de crustace, clown trash est un des doubles et profus personnages/créatures de Tristan Felix dont on ne citera pas ici les hétéronymes tant ils sont nombreux et dont l’écrin a pour certains été la succulente revue La Passe, lieu de passe (rencontres (et de baisers donnés à l’art et aux écritures plurielles)). Il y avait alors Laetitia Dolores dont j’étais sous le charme hypnotique de l’écriture. Gove, donc, extension cinématographique et théâtrale d’Ovaine, connue des services de police de l’insolence et de l’insubordination en sac de jute et faux cils. Dans une de ses frasques, munie d’une serpillère, elle nettoie à l’instant même avec acharnement et un manque d’efficacité évident mais hilarant. Oui, elle nettoie un mot peu lisible inscrit à la craie de couleur sur le sol : HYGIÈNE (ou Hyène ou Gît comme ci-gît). Après sauts périlleux, grand-écart qui déchire tout, ce mot lavé à grandes eaux peut enfin vivre une expérience sensorielle-organique plus s/m/art et harmonieuse. Dans cette ère de vacuité intellectuelle à hélices et vibreurs, à l’heure du roman grand public si émouuuuuuuuuuuvant et bouleeeeeeeeeeversant, le roman aussi économiquement rentable que dénué d’un peu d’écriture : remède ô grand remède (le même médicament pour tous est par ailleurs une dystopie très prisée (qu’il faut savoir ne pas subir et se ré-a-pro-prier)). Donc et en résumé au format XXIe, au format touwit : Il est une mesure d’hygiène de lire et d’entendre être chantonné Ovaine, la Saga et d’inviter à tours de bras bioniques Tristan Felix partout et même ailleurs. Sur Unter, sur Frange cul et 3, dans le fanzine de la MGEN et le bulletin de la MAIF, sur le programme télé en pile à la caisse du Shopi, partout où Ĉapeu et bien sûr dans Pif gadget (sauvons les enfants privés d’écrans tactiles). On peut voter pour des écolos indulgents envers le capicatalisme, voter pour son chat mignon qui boude le poisson en ce dimanche féérique, mais n’espérez pas sauvez le monde sans la science d’Ovaine qui sans plus attendre en tonne son kilo de carnages très très doux – with éponge et gants Mappa – que lui inspire un monde qu’elle retaille aux coupe-choux :
À 99 ans, Ovaine est promue spectatrice du travail. Elle se hâte d’y être.
Cousue de médailles et coiffée d’un tricorne de bouc, elle déboule sur un chantier, dans l’unique fauteuil d’orchestre.
Elle fautographe les ouvriers qui piochent et leur donne des coups de pied quand ils tombent.
Un à un ils déposent avec précaution leurs hématomes et leurs croûtes dans une caisse commune, en fredonnant un air nègre.
Pincée par un perce-oreille, Ovaine se réveille brusquement : non, ce n’est pas un rêve, le monde a basculé.
Ovaine serait révolutionnaire si les chefs de produits et vendeurs de voitures ou de cinquième République n’avaient pas confisqué le lexique à d’autres fins comme celle d’aspirer le bulbe du plus grand nombre. Oui, Ovaine est une incontrôlable dissidente, une pourfendeuse, une amoureuse du vivant et de ce qu’il en reste, de ce qui n’a pas encore été détruit-piétiné. Elle danse, pas vierge et pas benête, sur des ruines, à la frontière des effondrements. Dans un monde qui serait un monde respirable, la Poste – rachetée avec deux pommes-®Ainette, une poignée de noisettes et un œuf de poule de Barbarie – devrait recruter trois cent vingt-quatre mille messagers et pigeons des champs pour acheminer les lettres d’amour venues de toutes les créatures de la Terre, et alors ces mouvements (amphibies compris) seraient les prémices d’un soulèvement avec animaux, arbres, bestioles et vents.
Il y a en France, en Belgique et en Suisse – Ovaine peut aussi prendre l’avion, elle va juste avant de monter faire sonner le portique de sécurité de l’aéroport car elle raffole des clous et elle en mange trop – un nombre important de festivals de poésie, de théâtre, de contes (Ovaine, La saga, ce sont bien des contelets) et le-fourre-tout-pas-toujours-fameux-de-la-performance. Programmateur : programmez !! Ai vu quelques spectacles de T. F. ; je ne peux pas dire un mot de celui qui se nomme Les revenants de guerre. Cap aux carpes ! Celles qui se nomment Ctenopharyngodon idella, carpe de roseau, carpe herbivore, carpe amour. Ovaine le sait et ne rechigne jamais à croquer une écaille de cette carpe chinoise à l’apéro.
Il faut se promener sur le site de Tristan Felix, découvrir son Théâtre des pendus et ses facettes à 9 (ou à 108) faces. La numérologie magique chez Ovaine à elle seule, c’est une heure d’émission pleine dans les n’œuf épisodes qu’il faut caler d’urgence sur la grille de Radio France.
Hygiène ou plutôt Santé, Santé publique lavée avec le poil long des présentateurs du journal télé et les gesticulateurs a-littéraires. Là où l’hôpital public offre du service déambulatoire, Tristan Felix, elle, offre des chorégraphies slaves, des gestes amples d’oiseaux des hauteurs, des mimes et du théâtre d’objets, des dessins à foisons, des cultes animistes cultes ou des passages fantomatiques dans des forêts à ruisseaux éclatants, cabanes et refuges, temps lent retrouvé, et soin dans le rire contagieux d’Ovaine. Tristan Felix œuvre.
Ovaine sait fabriquer un poste de radio avec une épingle et une boîte d’allumettes, mais c’est avec son appareil dentaire, un peu de bave d’escargot et une éolienne des années soixante qu’elle a piraté mon pc portable (et ma messagerie) à distance. Elle a - tour de passe-passe - copié-collé un beau morceau d’un mail écrit pour réveiller les morts par son éditeur, pour le placer sur ma note de lecture au stade défaillante et incomplète pour l’augmenter de démesure et euphorie à sa hauteur :
Relecture à sa sortie d’impression (…) ce n’est certainement pas de la poésie dans un sens « 21e siècle » ; ce serait plutôt quelque chose de très ancien qui revient : du côté des « Métamorphoses » d’Ovide, de François Villon, des Troubadours, de Cervantès, d’Homère ?) d’ « Ovaine, La saga » de Tristan Felix. Joie, pleurs de joie à lire « ça » en y étant un peu pour quelque chose… Ce livre, tenez-vous bien, est peut-être bien le PLUS GRAND livre de poésie féminine qu’ait connu notre langue française… J’ai beau chercher, je ne vois pas de concurrente ?... Ce serait comme Lautréamont (pour la cruauté, l’invention langagière absolument stupéfiante) qui serait allé avec Pocahontas (pour le côté écolo-à-fond et animiste) et Mélusine (la fée). Tristan Felix, c’est notre LeVice Carole ! Elle invente un monde unique — SON monde ! —, celui d’Ovaine : terroriste très douce (et pour de rire), folle de la forêt (et non du logis, définitivement quitté), dresseuse d’animaux enchantés, justicière chez Noé — le Lévitique retourné comme un gant ! J’en suis tout baba… (…) autant de matière que dans « Les Métamorphoses », mais dans une langue VIVANTE : le français d’aujourd’hui — en train de s’inventer (…)
Guillaume L. Basquin, bouffon du Roy de Terre d’Adélie.
Les Prix Mal armée, le Polo linéaire, en doublette, le Gonjiour Gonjiour dans un fauteuil à bascule, tout ça ne lui est pas seulement promis, c’est le destin qu’Ovaine a avalé goulument entre deux sardines crues. Hue !!
Christophe Esnault
Tristan Felix, Ovaine, La saga, Tinbad, 2019, 226 p., 23 €
Les revenants de guerre (théâtre) :
Le site de Tristan Felix
La Sirène, T’es où dis où ? et 14 autres vidéos sur Vimeo
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