Matthieu Gosztola a proposé à Poezibao une note de lecture de Chartres et environs de Jean-Paul Bota et David Hébert, accompagnée de ces extraits pour l’anthologie permanente du site.
J’assassinerai un jour mes tableaux.
Chaïm Soutine
Tourmenté, fier, ambitieux pour son œuvre, rarement satisfait, sa vie de peintre a été une progression inquiète mais continue vers la réalisation de cet ordre interne qui donne leur poids aux œuvres inspirées […]
Marcellin Castaing in Marcellin Castaing et Jean Leymarie, Soutine, Paris, Lausanne, la Bibliothèque des arts, 1963
Lèves et couteau en main la nuit ô Soutine pour lacérer ses tableaux...
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Votre maison est trop belle, je ne pourrai jamais la peindre.
Chaïm Soutine
Natif de Smilovitchi, la maison des Castaing qu’il n’a jamais voulu peindre... cette autre, à Lèves, qu’il eut envie de représenter : La Maison du Mousseau, une atmosphère sereine qu’exprime, baignant un ciel de bleu* et l’or de la façade, maison et végétaux, une palette illuminée... le feuillage des arbres qu’allument de fines touches dorées...
*Guillevic
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La maison de Lèves que fréquentèrent Satie, Cendrars... Soutine donc qu’y hébergeaient les Castaing...
À songer encore Utrillo et par là-même Valadon, elle la seule relation connue d’E. Satie, au Centre Pompidou, son portrait par S.V... et Vexations qu’il composa après leur rupture, mélodie courte destinée à être jouée 840 fois de suite, découverte par J. Cage après la mort de Satie...
Cela encore identiquement à Pessoa-sa malle, les deux pianos désaccordés attachés ensemble emplis de correspondances non ouvertes retrouvées par ses amis au décès d’E.S. dans son studio d’Arcueil auquel il refusait l’accès à quiconque et derrière lesquels se trouvaient des partitions inédites jusqu’alors dont celle de l’opéra Geneviève de Brabant qu’il pensait avoir égarée... et la collection de parapluies et de faux cols dans un placard ; celle de costumes gris pareils à celui qu’il portait en permanence, ceux-là donc d’avance, etc.
Pensée des Nocturnes et Gymnopédies d’après la lecture de Salammbô (période Montmartroise) ou celles publiées à Paris en 1888, ô l’année de naissance de Pessoa, pensée d’elles disais-je & Nocturnes, 1 odeur de peinture à Ch. touchant l’Apostrophe...
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Cliché de 31 à Lèves : les ramasseurs de tilleul parmi lesquels, enfant de L. dont les parents tenaient un bistrot au centre du village, Charlot Cissé que peindra Soutine en 1935-36... Et l’âne qui broutait dans leur maison que vendit, devenu adulte, Charlot à la mairie de Lèves, transformée en restaurant scolaire... Soutine, la fenêtre de sa chambre que l’on voit en haut à gauche...
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Il faut remonter à Giotto pour camper l’âne avec autant de naturel, et la modulation laiteuse des bleus et des verts est une réussite chromatique aussi difficile qu’exquise.
Jean Leymarie in Marcellin Castaing et Jean Leymarie, Soutine, Paris, Lausanne, la Bibliothèque des arts, 1963
Ou les animaux vivants, période chartraine de Soutine ou nouveau dans son œuvre du thème ou ça d’après les natures mortes, dépouilles de lapins et volatiles des années 20 ou la ferme qui jouxtait le parc dans la propriété des Castaing à Lèves, elle dont peignit à plusieurs reprises Soutine les animaux et L’âne, 1934, pendant du petit Veau référencé dans la collection Castaing... Portraits d’animaux des années 30 que réalisa Soutine à Lèves ou plus tard. Ainsi encore des Porcs, 1942 conservé au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris... L’âne bleu donc, un rien de rouge ou elle de la signature et l’écho aux touches de rouge (peu) ou quoi de Corot, Constable... ou Le Veau..., tendresse d’eux comme on la retrouve désormais dans les œuvres de cette période de Soutine...
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Soutine – les deux versions qu’il donna de La Cathédrale et celle de Faibisch Zarfin, l’ami de Smilovichi... sa Communiante à l’égal de La Communiante de Soutine...
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Peintre des bords de la Volma-sa série des Communiants et Le grand enfant de cœur au musée de Chartres qu’achetèrent en 1925 les Castaing pour la somme de 30 000 francs, à rappeler celui-là de Courbet dans l’Enterrement à Ornans, debout au premier plan, ô tableau de Courbet dont on dit qu’il inspira à Soutine série sienne des Enfants de cœur... rouge et blanc et les surplis de la robe avec ça de Courbet donc et Chardin...
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La Maison à Oisème, proche Lèves un village au Nord-Est de Chartres et les deux versions, celle-là, vue plus éloignée, le muret d’enceinte de la propriété au premier plan et le blanc avec ça d’Utrillo, verts et bleus et les bruns, une sorte de synthèse entre Cézanne et Courbet dit Jean Leymarie au propos de l’autre version quoiqu’à songer pareillement celle-là... ou Courbet à souvenir Soutine et l’Enterrement à Ornans vers lequel il retournait toujours au Louvre. D’avec Chana Orloff, Louvre et Fouquet, Corot, Rembrandt, Chardin...
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Visage ridé de O. au marché le samedi et de F. encore & femme aux flancs, battant leur octave, de mousseline, c’est là, Chemin de Mémoire, dessous l’ogive des branches en allant vers la Chocolaterie, les masques africains à hauteur de genou près le kiosque à musique & d’elles – ici méditant O. et F. –, à la tombée du soir souffle emporté, et la cuillère du déclin, subitement plongée dans la nuit aveugle presque, inspiratrice, taillant dans le froid sa part d’obscurité, jaune et rose et blanc des lys au Marché aux Fleurs... H. : elle chante un plant de lys à la fenêtre de la cuisine, devisant avec l’hier et les roses trémières, rue Muret ou proche l’Eure, fleur de Sainte Gudule dit Nerval, une voix sous l’averse en allant vers la Chocolaterie – pourquoi penser cela ? – J’aurais voulu humer chaque angle d’étal, remuer mes doigts comme cithare au faîte invisible du chant des gerbes.
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Parce qu’allant, en tête une musique sacrée de Bach, elle aurait joué de cet orgue, ahh, mêlée aux jets d’eaux, place des Épars, le roucoulement des corniches dessus les toits, à pas paisible, elle va ou s’en vient sans doute depuis la Cathédrale et le moût de la neige au parvis, brillant son chiffre dessous l’or des candélabres et là encore aux ramures imaginaires des catalpas et le port vrillé des pampres, qui filtre, un or absorbé presque, ou carte pilée d’étoiles, une constellation de pistils ferme les yeux au sommeil des vitraux, c’est en pensée comme elle avance, parlant à son âme, pensionnaire de sa solitude, cela qui à souffles-saccades l’habite, un verger bleu s’enfonce, par le front, en tous sens, gagnant les artères voltaïques – où se retranche-t-elle ?, entre un mur d’enceinte déjà, une longère frileuse où elle s’abrite, une cuisine au dimanche donnant sur les berges et les tilleuls, vieux, c’est ailleurs, ahh l’éclair de rien sur la rivière tremblant du désordre d’aller qu’on devine, intensément, ce qu’elle pétrit fut un gouffre ou noir au gouffre cramponné tel polype et le silence, rompu : un train tranchant sa courbe épaisse dans la pluie cristallographique, elle avance, parlant à son âme s’emplissant d’un abîme, encore, et la cathédrale, j’entends le Minotaure à la lieue et Thésée, un chenal de l’existence mêlée au flou des années, ahh fil tiré de vie, et les décors du Chœur, dessus le maître-autel une Vierge de l’Assomption, mémoire du Titien autrefois à Venise ou..., cela qui trébuche en elle-même derrière le vent levé du poème...
Jean-Paul Bota et David Hébert, Chartres et environs, Éditions des Vanneaux, collection Carnets Nomades, 2019, 15€.
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