Non ce n’est pas « déjà vu » le récent livre de Didier Cahen, le poème - obligeant de relire le monde dans les trous - là où ne se donne pas sa représentation : quand les mots manquent, les êtres, les voix.
Car nous ne cessons de l’attendre et quelques-uns sommes - pour tous - à vouloir ouvrir les yeux sur le vide, et apprendre. Apprendre ce que révèle le chant qui affleure dans l’appel. Amour, larme, musique ne sont-ils dessous ou dans « un simple courant d’air », sur les bords du corps et de la parole, là où l’Autre toujours se dérobe et reste ?
Oui, il faut faire vite quand le poème passe et restitue : le fruit, le sable, un grain de matière, une virgule et la chair.
Alors le poème passe et restitue, en forme de sagesse, son « plaisir simple ». Il recueille. Des fragments de rêve et d’enfance. Quelques miettes de ciel, « des nœuds légers dans l’air ». Un peu de pluie, de Toi, et de poussière.
Un peu encore d’être, de dernier soir. Pour noter encore - un refrain, un bruit de pas, là où nous sommes - en arrière de l’âme - mais dans la langue qui sommeille.
Et l’on veut une fois encore croire, « épier le matin », l’ombre où dormir, et le verbe à l’envers afin de glisser vers l’autre rive, avec ceux qui accompagnent.
Car avec le poème recommence le « Tu » qui ouvre un ici qui perdure et pose l’Ailleurs dans les intervalles de la mémoire. Et vient un vers, puis l’autre, quand celui qui écrit se fait poreux afin que le poème donne corps à l’incertain - une vie peut-être, un amour, un deuil ; « un temps pour vieillir » avec ce qui reste.
Ce qui reste « trois fois rien/on croit gagner/la guerre », les yeux sèchent, on cherche à nouveau le sommeil, « on se relève », on se souvient de la rumeur et des empreintes, « on ne sait quel paysage », un été encore, un chien, « une rose intérieure ».
Alors l’« on vérifie son rêve », l’on se demande pourquoi encore le vent et l’air, une poignée de mots soudain soulèvent l’ombre et revient l’épaisseur. On note le rouge, on éclabousse la page d’encre pour inscrire le parfum, le papillon, le juif, on retourne les preuves, « on imagine des vers », « on se console ». « On dit le rien/on égrène l’univers », « on s’oppose », « on se voit /seul et nu », « on règle la nuit /avec ses propres mains ».
Esther Tellermann
Didier Cahen, Déjà vu, éditions Tarabuste, 2019, 176 p., 14€
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