Deux poèmes composent ce livre : Un écart de conscience et Prosopopée du peintre des cavernes. Le premier, contrairement à ce que son titre pourrait laisser entendre, n’est pas une absence de conscience mais une hypertrophie qui la fixe sur des détails infimes : « Le lieu le plus pauvre / s’avère le plus propice / à ce que je nomme faute de mieux / un écart de conscience » (p.19). L’attention accaparée par ce qui semble relever de l’ « accident » (p. 23, terme qu’on pourra entendre dans ses différentes significations) crée un « éveil paradoxal » (p. 21) à un détail insignifiant de la réalité : la ténuité de ce qui est regardé semble ouvrir un champ immense, au détriment des visions d’ensemble ; néanmoins, elle se place dans un paradoxe : cette « singulière attraction terrestre » (p. 40) dans le même instant où elle fixe la conscience échappe à sa saisie. Dès lors, comment comprendre ce mouvement ? Et comment l’écrire ? car les mots paraissent contribuer à son effacement en se l’appropriant. Eléments descriptifs et explicatifs dominent dans ce poème adressé à un « tu » non identifié dont on comprend à la dernière page qu’il peut être une figure multiple : l’enfance et le passé ? un dédicataire précis ? le réel ? l’écriture ?... Celle-ci oscille entre vers et prose, non dans sa disposition mais dans ses jeux de continuité, comme s’il s’agissait par moments de prose verticalisée. L’œil et le regard formant un thème dominant dans l’écriture de Jean-Pierre Chambon, on la retrouve aussi dans le second poème dont on relèvera la qualité du titre ; le poème est adressé à un « tu » qu’on peut supposer être un lecteur-spectateur d’aujourd’hui : il interroge ce qui reste, donc ce qui est perdu, dont témoigne ces peintures rupestres, manière d’avertir de la relativité du contemporain. Ici aussi, dominent le mystère et l’énigme, que l’écriture tente d’approcher, sauf que le poème est éclaté, sans doute à l’image de ces motifs dispersés sur les murs de la caverne. Précisons que ce livre est accompagné de photos de Christiane Sintès qui jouent entre détails et flous, échos pertinents au texte.
Ludovic Degroote
Jean-Pierre Chambon, Un écart de conscience, Le Réalgar, 2019, 68 p., 14 €.
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