Ce premier recueil de Fanny Garin, des disparitions avec vent et lampe, est un livre qui trouble. Il est de ceux dont la voix vous reste longtemps après l’avoir entendue, sans doute parce qu’elle est sensible au sens premier du terme, à savoir qu’elle vous ramène au plus près de sensations, d’une perception aigüe du monde. Egalement parce que ce recueil multiplie les points de vue, les regards, les possibles, et qu’en semant cette confusion qui est le propre du langage inconscient, il nous fait entrevoir un autre monde entièrement poétique où rien n’est ce qu’il paraît et où le sens se dérobe. Le regard est toujours tourné vers, s'il s'introspecte c'est dans un mouvement vers le dehors, pour faire entendre d'autres voix, faire voir d'autres lieux, saisir des fragments du monde plutôt que de soi.
Dans la première partie, toutes les parties du corps semblent se dévoiler ; c’est comme si la Fanny Garin montrait pour mieux faire disparaître ensuite, en introduisant des éléments étrangers au sein des images. Ainsi, les poignets se recouvrent d’algues, la peau du ventre file et les cheveux sont des chevaux dans le cou. La langue se propose d’emblée surréaliste, imprévue. Se pose la question du récit poétique : quel endroit, quel événement -fiction, quelles circonstances. Le lieu est clos : des mots parviennent, des histoires d’ailleurs surgissent au gré d'une conscience-inconscience, de l'incertitude d'un regard dessinant les contours d'êtres et de paysages, d'une chambre qui est peut-être le lieu de l'écriture, celui où tout se rassemble. L’on finit par voir la chambre (sans doute une chambre de morte), définie comme réelle, mais à la manière d’un tableau de Francis Bacon où les objets se tordent et où le visage s’offre multiple et aucun à la fois. Objets autour desquels la fiction tente de se tisser. Cependant quelque chose résiste, l’écriture est contrariée, tente de dire sans savoir si c’est ça qu’elle veut dire.
Ainsi dans une parole précise, intime, déroutée, la poétesse interroge le réel en interrogeant le langage, et dans ce double mouvement nous glissons dans les images : sur une chaise, à regarder une lampe qui n’est pas un arbre, à rêver d’eau et de vent après la disparition d’un corps, à être au cœur du lieu des résonances, qui transforme non seulement le monde extérieur, mais aussi le monde intime. Et c'est à mon avis le vrai enjeu de la poésie de Fanny Garin. Et ce risque pris -car c'en est un- vous laisse avec un goût de vent sur la langue, et la sensation d'avoir, un instant, regardé sous des paupières fermées.
Julia Lepère
Fanny Garin, des disparitions avec vent et lampe, éditions Isabelle Sauvage, 2019, 92 p., 15€
Sur le site de l’éditeur
Extrait :
« et maintenant
les pieds froids tenus sur la chaise le corps s’est tu
écrire permet de ne pas désirer et pourquoi pas
que ferais-je
devant une nappe ou la mer
rien n’est détruit ne brûle une maison de vacance
sans histoire seule,
la sensation de quelques corps humides, autrefois,
petits
reste » (p.40)
Commentaires