Les granules bleus ou l’histoire intime entre la narratrice et des limaces, ces « gastéropodes pulmonés stylommatophores » de différentes tailles et couleurs. Il est question, dans ce livre, du rapport qu’entretient la narratrice – et son fils dans une moindre mesure – avec les limaces. Qui sont-elles ? D’où viennent-elles ? Que veulent-elles ? Comment les détruire ? Tant de questions auxquelles il faut répondre.
Tout commence par des granules bleus en tant que « puissances anonymes » et de leurs rôles dans nos vies. Ils ont un pouvoir de destruction et ne sont pas nécessairement visibles. Ce granule exerce certains effets sur la narratrice qui se demande si elle doit s’incliner « devant l’invisibilité de ce qui sait à tout moment partout se multiplier, qui se multiplie probablement dès que je feins de m’en désintéresser ». Car ces granules semblent omniprésents, tout comme le sont les limaces (et autres nuisibles ?).
Puis, le lecteur se retrouve confronté à des mammifères : la souris, le rat, le mulot dont la présence « peut nous rappeler la mère qui peut-être nous allaita, et cela ne laisse que peu d’entre nous indifférents, particulièrement pas dans l’élaboration des moyens de l’occire ». C’est en raison de ce rapprochement, de ce lien commun aux mammifères que « l’on préfère des moyens rapides, silencieux, aveugles » d’en venir à bout. Pour éviter d’être envahie la narratrice décide de les supprimer. Parmi les techniques envisagées on trouve la tapette, la glu, des produits chimiques qui permettent à la souris de « regagner son nid avant de mourir. » Anne Parian enchaîne avec cette précision : « ce à quoi je ne serais pas insensible (…) quel ingrat ne le voudrait pas ? ». Il est intéressant de noter, ici, l’écriture à double niveau /sens de l’auteur qui est accentuée par la présence des notes à visée scientifique. Un des exemples les plus marquants est celui sur l’origine de la tapette « moderne qui descendrait du « Little Nipper de James Henry Atkinson. »
Après cet aparté sur les mammifères, on retrouve les granules bleus dont la narratrice prend connaissance par l’intermédiaire de Chales. C’est ici que débute sa relation avec les limaces. C’est ici aussi que l’on connaît l’origine du livre : « sans limaces plus de texte » ; comme si la bave des limaces servait d’encre. Anne Parian puise dans cette bave son écrire afin de « venir à bout de la confrontation ». C’est la mort comme genèse de l’écriture. Ces limaces – la façon de cohabiter ou non avec elles – deviennent une préoccupation majeure pour la narratrice : « l’idée m’en obsède visiblement ». Elle leur prête un « pouvoir conceptuel qui surpasse largement quoi que je puisse concevoir moi-même, et c’est le véritable objet de mon ressentiment ». Il s’en suit tout un questionnement sur comment entretenir une relation d’observation scientifique avec elles (les élever ? en épargner ? les détruire ?). Relation qui se transforme parfois en un échange matérialisé par l’emploi de l’italique : « Je n’avais pas pensé à te comparer à la souris, au vers, à l’escargot non plus (…) Dans ma tentative de nouer avec toi, l’entier pouvoir que je pense avoir, sinon sur toi car c’est à ton gré que pour l’instant tu traces ou disparais, sinon sur toi sur la liberté de ce que j’écris, n’écrirais-je que parce que tu m’y obligerais ».
L’ouvrage se termine avec émotion et la narratrice conclut « à la disparition des limaces, admettre l’avènement de Chales, est difficile ». Mais tout espoir n’est pas perdu, il reste encore des limaces « intactes, toujours sensiblement immobiles sous l’œil de Chales ». La bave est commune à la limace et à l’homme (deux espèces envahissantes) et l’auteur préfère utiliser le terme de bave plutôt que celui de mucus afin d’accentuer cette ressemblance. Me vient alors à l’esprit ce magnifique vers de Paul Valéry : baisers, baves d’amour, basses béatitudes, ô mouvements marins des amants confondus qui termine la lecture de ce bel ouvrage.
Alexandre Ponsart
Anne Parian, Les Granules bleus, P.O.L, 2019, 96 pages, 12,50€
Extrait
« Les limaces ni ne sont contentes ni ne le sont pas, glisser est leur plaisir ou non ne leur plaît pas plus que ça. Ce serait leur problème, glisser d'une chose à l'autre avec sans obligation mais possiblement sans plaisir. Je ne fais pas le rapprochement avec moi, mais il y a la question du plaisir des limaces : connaissent-elles ce que vous et moi appelons 'plaisir' sans parler de la même chose ? Les limaces aussi recherchent-elles quelque plaisir, et particulièrement quand elles glissent ? Particulièrement espèrent-elles que glisser soit un plaisir continu ? Je vois assez bien cela comma ça, le plaisir certain des limaces quand elles glissent, ses modulations selon la régularité ou non, les frottements de certains matériaux. » pages 65-66.
Sur le site de l’éditeur, avec une vidéo d’Anne Parian lisant un extrait du livre et la possibilité de feuilleter quelques pages.
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