[...] Comment s’y reconnaître ? Je crois qu’on n’interroge la poésie qu’au moment où déjà elle nous a quittés, elle l’interrogatrice. Le qu’est-ce que c’est concomitant de l’acte poétique me paraît impossible. On ne formule qu’un qu’est-ce que c’était vindicatif ou nostalgique. Et s’il est une réponse à la question que pose la poésie, je ne la vois que dans les poèmes où, comme dans les devinettes en images, les oreilles du loup, l’auréole de l’ange ou la taille de la bergère restent confondues aux replis des arbres et des nuages. Parfois je me figure qu’il n’y a pas de lacune (mais des relations si subtiles, si complexes, qu’elles découragent l’analyse et qu’on préfère les nier) entre les arrangements de la réalité et ceux des mots en poésie ; qu’un poème, dont on peut affirmer qu’il est le comble de l’artifice, appartient tout aussi naïvement à la nature que les cristaux de neige, les fleurs, les tourbillons du vent. Et qu’enfin, à certains moments, c’est l’énergie du monde elle-même qui choisit de s’écrire, qui nous prend pour transformateurs et reporte dans le langage le silence de son énigme. Cosmologie d’ivrogne, mais ivrognerie austère, car on boit peu, vraiment.
Jacques Réda, « L’Intermittent » [1969], in Celle qui vient à pas légers, Fata Morgana, 1985, p. 20.
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Celle qui vient à pas légers, inexplicablement peut se retirer de l’espace habitable où nous nous tenons dans la faveur de son souffle. C’est alors que notre dépit l’abandonne à son tour à la dégradation des hypothèses. Sans doute elle qui jamais ne nous répond, mais questionne silencieusement dans sa distance, comme si quelque chose en nous aussi pouvait se lever et s’en aller à sa rencontre, sans doute il est tentant pour moi de l’appeler poésie. Et, usant du levier rigide qui, aujourd’hui, dans son illusion d’une approche, porte pesamment la critique d’un ne... que arrogant à un autre ne... que servile, je pourrais même dire qu’elle n’est que poésie, et que la poésie... Mais il ne faut rien dire. Car étant celle qui appelle, il n’y a pas de nom qui lui convienne – ni quand elle se retranche, qui réduise ou surmonte l’étendue innommable de son mutisme. Sans rien troubler par l’étendue intérieure où comme entre les mots, sa trace demeure inscrite dans les cristaux de neige, il faut attendre, simplement. Attendre. Alors, peut-être, elle reviendra.
Jacques Réda, « L’itinéraire » [1969], in Celle qui vient à pas légers, Fata Morgana, 1985, p. 34.
[Proposition de Jean-Nicolas Clamanges]
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