Jacques Robinet a publié récemment La Monnaie des jours aux éditions La Coopérative. C’est son deuxième livre de prose à la Coopérative, après plusieurs livres de poèmes publiés notamment aux Editions La Tête à l’envers.
Poezibao propose ici quelques extraits de son œuvre.
3 juin 2017 – L'illusion de penser qu'en écrivant j'agrippe et retiens le temps, tout en sachant que la première vague qui suivra mon départ emportera ces pages auxquelles j'attache naïvement un peu d'importance. Sentiment dérisoire d'exister le temps d'un grain de poussière soulevé par le vent. Besoin de laisser une trace, si fragile soit-elle, de mon passage sur la terre. Nous sommes, jusqu'à la fin, des enfants qui jouent très sérieusement à échafauder avec leurs cubes des tourelles, aussitôt écroulées.
J'écris encore. Ah ! si je pouvais inscrire dans la durée le chant de ce rossignol qui vient de chanter ou cet éclat de lumière qui illumine la branche d'un noisetier à ma fenêtre. Comment suspendre le cours des apparences flottantes ? Il faut que les châteaux de sable s'écroulent à chaque marée, pour mieux les reconstruire, afin de défier la mort jusqu'à la fin. Mais ensuite ? L'illusion est de croire que la dernière épave poursuivra sa route vers une rencontre improbable, bien après moi, dans un univers sans finitude.
De tout ce savoir, nous ne gardons rien, tant le désir de survivre est ancré en nous, tant le déni de la mort est puissant. Nous sommes adossés à la plus haute vague qui nous submerge et nous bouscule, mais qui n'est pas encore la dernière et, déjà, nous guettons du coin de l'œil le rouleau qui enfle et approche, qu'il va falloir aborder en rusant, avant de défier le suivant qui déjà gonfle au loin. Vivre c’est cela : plonger et renaître de la houle qui nous saisit, se jour de nous et nous emporte (...)
(La Monnaie des jours, La Coopérative, 2019, p. 123)
29 novembre 2018 – Ciel pluvieux : l’âme éteinte comme le soleil. A quoi bon écrire ce genre de banalités ? Seulement pour combattre, comme un soldat s’arrache à la glaise, en attendant que reprenne la mitraille. Elle est si clémente, pourtant, la vie qui pour moi se prolonge. Il n’est pas question de me plaindre, mais plutôt de souligner cet étonnement qui m’envahit au constat que ce jour existe encore, qu’il m’est donné, qu’il est très précieux, qu’il faut le caresser, le retenir comme la perle rare, cachée sous les décombres du quotidien. Écrire cet étonnement, c’est dire que je perçois, sous le couvert sombre du ciel, une autre lumière qui me soutient. Est-ce vrai ou illusion mensongère ? À vrai dire, peu importe, je me devais aujourd’hui de malmener le vieil homme que je suis et qui, le plus souvent, ne sait que maugréer en se traînant. Autour de moi, la mort ricane, en secouant le tapis où nous nous accrochons comme des insectes terrifiés. Tant de ceux que j’aimais sont partis, sans mourir tout à fait puisque je pense à eux. Seul regret : ne pas leur avoir assez dit combien je les aimais. Impossible de concevoir de prochaines retrouvailles dans un Ciel sans ténèbres. Ce sont là rêves d’enfant auxquels j’ai du mal à consentir. Mais ce jour encore m’est donné pour me réjouir de les avoir rencontrés, pour bénir cette vie qui ne m’a pas refusé l’amour. Je me grise de mots, je le sais. J’ai besoin de mots comme l’oiseau a besoin de graines. Je les rêve, les brode, les charge de mission impossible : dire à ceux que j’aime, morts ou vivants, combien ma vie est riche grâce à eux. Ciel gris qui se lèvre, nuages décolorés qui se dessinent, ailes invisibles que je pressens tout autour de moi quand l’obscur recule : j’ai dit cette heure fragile qui s’éclaire. »
(Ibid. p. 172)
*
C’est impossible
Il y a des jours comme
celui-ci
où le gris est trop gris
la pluie n’est que larmes
Tout meurt sans poésie
On voudrait partir
repêcher la lumière
mais plus rien ne bouge
Le brouillard s’étend.
Que dis-tu mon âme
de cet étrange ennui
où se noie sans bruit
une attente blessée ?
(La Nuit réconciliée, éditions La Tête à l’envers, p. 37)
/
L’oiseau en plein ciel
a heurté la fenêtre
Un éclat de ciel
agonise dans la boue
Le frisson des ailes
congédie le vent
D’autres appels
jaillissent des arbres
(ibid. 76)
/
Tu t’agites t’agites encore
vague brouillonne qui creuse en
vain le sable avant de disparaître
Un pas de plus
La lumière se retire
Un dernier regard au ciel qui noircit
C’est l’heure où tu trébuches
sur ton ombre – où les voix
se perdent dans le vent de la nuit
Dans le silence revenu les arbres
respirent
(ibid. p. 88)
On peut aussi lire cette note de lecture de Sabine Péglion à propos de La Monnaie des jours.
Jacques Robinet La monnaie de jours, Editions La Coopérative 2019, 240 p., 21€
Sur le site de l’éditeur
Jacques Robinet, La Nuit réconciliée, Éditions La Tête à l’envers, 2018, 116 p., 17€
Les couvertures des livres sont des oeuvres du peintre Renaud Allirand.
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