Le premier numéro de Conséquence posait l’impossible question de la dimension éthologique du style en philosophie. En 2017, le second accusait un virage poétique : André du Bouchet, Bernard Noël, Guy Viarre, Cédric Demangeot, Esther Tellermann, Leopoldo María Panero et Bodhan Chlibec parsemaient, entre autres, un sommaire marqué fissile. On se demandait d’ailleurs si Conséquence allait devenir une sorte de moriturus bis puisque son fondateur, entre temps devenu auteur fissile, accueillait comme co-directeur Victor Martinez, lui-même publié dans la maison ariégeoise. Et même s’il n’y aurait personne pour se plaindre d’une revue s’inscrivant dans un tel héritage, le troisième numéro – le plus cohérent des trois – permet (enfin) d’établir l’identité de Conséquence. Aussi, le sens des deux volumes précédents est rétrospectivement révélé : de l’édito aux essais qui ferment le volume, en passant par la sélection de poèmes, on comprend que Conséquence se rêve depuis le début, consciemment ou non, en dispositif politique.
Dès l’ouverture est affirmée la nécessité d’un renversement des valeurs et celui-ci passe par le travail de la langue comme expérience éthique limite : éclatement du soi, dissolution des individualismes. La cible désignée : le narcissisme à l’œuvre dans le capitalisme tardif. C’est un appel à la vigilance : la littérature ne peut perdre de vue cet objectif « d’oubli de soi », au risque de reconduire les maladies de la civilisation.
Un texte inédit d’André du Bouchet intitulé « de l’étranger, de la langue » donne au volume sa colonne vertébrale : il y creuse jusqu’à explosion (implosion ?) le hiatus dessiné par l’opération traductologique. La contribution de Dolores Dorantes est une violence simple – où l’évidence elle-même joue de violence – dans tout ce que le politique regorge de brutalité humaine, trop humaine. Jan Zábrana, intervention tchèque saisissante, plonge le lecteur dans la froideur de l’étrange. Monserrat Álavarez, poétesse hispano-péruvienne dresse un monde âpre et anguleux où les micro-conflictualités font le vivant autant qu’elles l’usent. Le reste du sommaire frappe avec la même intensité : Hugo Hengl sur la traduction, chargé d’humour et de clarté ; Cédric Demangeot offre deux textes pleins d’organes criant leur nom propres – qui d’autre sait faire parler l’estomac avec autant de résonance ? Victor Martinez livre une série de poèmes-aphorismes où la vitalité n’est jamais loin de s’auto-détruire par la force de l’excès. Panero clôt la partie poétique par une prose à la fois malade, hallucinée et lucide. Mais aussi : de beaux inédits de Mathieu Bénézet ; Ianka Diaghileva, une poétesse russe ; Ayot Yeshurun, poète israélien ; Christine Lavant et Germaine de Staël.
Trois lettres, une longue de Jean-Michel Reynard et deux courtes d’André du Bouchet, ouvrent le cahier d’essais. On y retrouve la question de la traduction et l’exigence des deux hommes dans leur rapport à la langue. Avec « Dire une seule fois la vérité », Martinez inscrit plus explicitement encore Conséquence dans une tradition littéraire où le poème fait œuvre de résistance à « l’œuvre capitaliste-extractiviste-esclavagiste-coloniale », rapprochant la revue de son modèle implicite, L’Éphémère. La seconde partie de l’article rend hommage aux travaux de Catherine Malabou et Corinne Énaudeau, soulignant une fois supplémentaire la dimension politique de la poésie comme accident, c’est-à-dire en tant qu’elle empêche la continuité linéaire de la « Réalité » entendue comme ordre naturel.
Le fondateur, Paul Laborde, publie pour la première fois dans la revue : un premier texte dont le titre (« Que faire si le grand capital verse du LSD dans nos réserves d’eaux ? ») fait explicitement référence à un papier de Timothy Leary (« Que faire si les Viet Cong versent du LSD dans nos réserves d’eaux ? »), met en avant la pertinence politique de l’épreuve psychédélique et des pratiques méditatives entendues comme dilatation de la conscience individuelle et déconstruction de l’ethos capitaliste. Un deuxième papier, déduction du précédent, dégage un ensemble d’impératifs moraux dans une veine rationaliste sceptique et bayesienne. Le programme apparaît clairement désormais : Conséquence se présente comme une entreprise de destruction de la personne au profit du vivant collectif.
Paul-Antoine Fae
Conséquence #3, 184p. 20€
site de la revue
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