Poezibao publie aujourd’hui la onzième contribution de la série autour du thème « A quoi bon éditer et vendre encore de la poésie ? » grâce à Jean-Pascal Dubost qui en a eu l’idée et qui en a assuré la réalisation.
Disputaison n°2
« À quoi bon éditer et vendre encore de la poésie ? »
11. Isabelle Baladine Howald
Libraire (Librairie Kléber, Strasbourg) et poète
« Une image de pensée »
Et surtout « pourquoi pas », comme dit Maud Leroy des éditions des Lisières ?!
Pourquoi est-ce considéré comme si étrange, si compliqué ? Cela m’étonne toujours.
Ce ne fut pas pour moi l’histoire d’un hasard, ce fut un souhait, ouvrir un rayon poésie à la librairie où je travaillais déjà (Kleber, à Strasbourg), ce qui me fut accordé tout de suite.
Ce n’était pas à la mode, ça ne l’est toujours pas.
Je trouvais invraisemblable de ne pas trouver ce que je cherchais moi-même en tant que lectrice. Il y avait peut-être un risque mais j’ai très volontiers relevé le défi.
Vingt ans plus tard, il est toujours là et se porte bien (en termes de chiffre, puisqu’il s’agit aussi de cela, la poésie n’est pas une bonne œuvre mais un commerce autant qu’un art).
Il va de soi que je ne voulais surtout pas que ce rayon soit juste la cerise sur le gâteau d’une grande librairie. Il en fait partie intégrante.
Comment je m’en occupe ? Tous les jours, avec des représentants de maisons d’éditions, mais je travaille aussi beaucoup par mail ou au téléphone, les « petits » éditeurs n’ayant pas les moyens d’avoir un commercial qui fasse ce travail.
C’est à la fois comme n’importe quel autre rayon (rangement, mise en avant, ventes etc),
Et un peu particulier, le choix étant moindre, la clientèle plus rare, les livres souvent plus fragiles, les ventes plus difficiles.
Pourquoi la poésie, domaine réputé difficile, « invendable » ?
Parce que je suis fascinée depuis toujours par cette forme de pensée qu’est pour moi la poésie.
Parce que je ne me lasse pas, parce que je n’ai pas lu tous les livres mais que j’aimerais (presque) tous pouvoir les lire, tout en sachant que peu sont essentiels.
Parce que quand j’aime un livre, je ne peux pas ne pas le partager.
Parce que le jour où j’ai retrouvé le rayon après trois ans, je tremblais comme à un premier rendez-vous.
Parce qu’on ne sait pas pourquoi, quand on est emprisonné, ce qui remonte de la nuit, c’est un poème (Semprun, Levi, Antelme, Delbo, etc).
Parce que je suis un peu casse-cou.
J’arrive au terme de ce métier (dont j’exerce des variantes ici même sur Poezibao, au CNL, par l’animation de rencontres, ou ailleurs encore) dans quelques semaines.
J’ai fait tout ce que j’ai pu, voulu : accueillir, garder, proposer, avec une joie parfois sauvage.
Parce qu’il y a de l’amour, de la sensualité dans cette occupation aussi physique que cérébrale.
Parce qu’un vers, une phrase, c’est une « image de pensée » (Walter Benjamin), c’est un fragment, dont je ne cesserai pas de chercher l’origine ou l’avenir.
Parce que « défendre » est le maître mot qui revient toujours dans les interviews, c’est un peu la guerre, et que j’aime bien batailler pour mon château de sable, avec une épée de papier.
©Isabelle Baladine Howald
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