Petr Král publie Déploiement aux éditions Lurlure.
La ville de Vrchlabí après Karel Š.
Il arrive qu'on aille à la fois au-devant de ses deux pôles
Pour voir il suffisait au bord d'une place parmi ses hordes
du samedi soir de sentir sur la langue la goutte rouge lumineuse de lamole di lamole
Le néant s'écartait aussitôt
pour nous laisser passer
La foule cachait quelquefois un prophète
un autre jour seulement un artiste d'avant-garde expert en crachement dans les cendriers des autres
portant sur le front un bout de ruban adhésif
Celui-ci il est vrai n'avait de sens que dans une devanture
sur la cuisse d'un mannequin vieilli en maillot neuf
La bourgade survivait à l'illumination restait là
avec ses arcades et commerces autant Broadway shopping que paniers d'ail Les marches la nuit montaient toujours taciturnes
vers le silence de la vieille salle de cinéma
De nouvelles agences s'éclairaient dans le passage
bien que les filles à l'intérieur ne fissent que bâiller discrètement
sur leurs offres d'un voyage à Hong Kong ou vers l'Orient plusdistant
de Nulle part définitif
Debout
Chose connue : soudain sans savoir comment
on se retrouve seul avec sa faute d'orthographe
Le regard scrute en vain alentour
la place vide
Dans les marges des villes et de l'Histoire heureusement
demeure aussi l'élégance des jours de pluie
Il suffit avec un léger sourire et en gabardine
de se tenir debout sous les gouttes
Savoir — comme disait le grand-père —
pourquoi les Anglais ont une reine
Le climat
La pluie vient toujours peser sur le monde
et l'aplatir il pleut sur le macadam
et sur une balance sur un archet délaissé
Derrière le voile des gouttes les mines allongées des vivants
s'approchent déjà des faces évacuées des défunts
Rosa seule peut-être sera pour un temps sauvée
par son prénom
(Si la terre parfois recrache un corps
il s'agit d'une simple erreur)
À présent c'est la neige elle tombe sur un os
ou sur un ostensoir
Les hallebardes pour l'instant se tiennent à l'écart
De derrière un angle jaillit brièvement
le S.O.S. d'une toux anonyme
Petr Král, Déploiement, Lurlure, 2020, 80 p., 15€, pp. 47-49
On peut lire un autre extrait du livre sur le site de l’éditeur
Prière d’insérer de l’éditeur :
Petr Král est un écrivain tchèque né à Prague le 4 septembre 1941. Poète, membre du groupe surréaliste tchèque, il quitte son pays natal lors du Printemps de Prague en 1968 pour Paris jusqu'en 2006, année au cours de laquelle il retourne vivre en République tchèque. Également essayiste (sur le cinéma et la poésie) et prosateur, nombre de ses livres sont écrits en français.
Petr Král a reçu en 2016 le Prix Jean Arp de littérature francophone pour l'ensemble de son œuvre et, en 2019, le Grand Prix de la Francophonie de l'Académie française.
Il a notamment publié :
Poésie : Sentiment d'antichambre dans un café d'Aix, P.O.L., 1991; Pour l'ange, Obsidiane, 2007; Ce qui s'est passé, avec des peintures de Vlasta Voskovec, Le Réalgar, coll. « L'Orpiment », 2017.
Proses et essais : Notions de base, préface de Milan Kundera, Flammarion, 2005 ; Vocabulaire, Flammarion, 2008 ; Cahiers de Paris, Flammarion, 2012.
Anthologie : Anthologie de la poésie tchèque contemporaine, Poésie / Gallimard, 2002.
Sur l'auteur : Petr Král, de Pascal Commère, éditions des Vanneaux, coll. « Présence de la poésie », 2012.
Le livre :
Dans la vie comme dans ses écrits, proses et poésies, Petr Král s'attache au moindre détail du monde réel, à tous ces petits riens que d'ordinaire l'on ne voit pas mais qui constituent pourtant la trame intime de l'existence. Son champ d'expérimentation est essentiellement urbain. Il se définit lui-même comme « un piéton métaphysique », si l'on veut bien comprendre que cette métaphysique dont il parle n'est pas au-delà du réel mais qu'au contraire elle en fait partie. Il parcourt la ville avec une sorte de mélancolie rieuse qui lui est propre, guettant les interstices, les portes secrètes qui s'ouvrent dans les choses et les événements pour peu qu'on soit attentif, présent en soi-même comme en dehors. (Alain Roussel)
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