Florence Pazzottu vient de publier j’aime le mot homme et sa distance (cadrage-débordement) aux éditions Lanskine.
f. comme flûte *
(en trois mouvements et un astérisque)
1. Au son de ce mot : pipeau
(à la vue de l'objet) je
me braquais déclarant
aussitôt (j'avais presque
douze ans) que je ne mettrais
pas ce machin dans ma bouche.
Toute une année vainement
j'essayais de pincer
Jeux interdits sur les six
cordes. Ma classe de sixième
pipeautait joyeusement :
autour de ma guitare
comme dans un trou noir
l'univers semblait se défaire.
2. Ma marraine était croyante
je la suivais quelquefois
sans jamais accepter l'hostie
mais attentive aux petits riens
qui tressautaient entre les rangs
Elle était infirmière aussi
comme ma mère l'avait été
qui – elle – n'allait pas communier
et acceptait de répondre
à mes précoces questions
éclairant même de récits
les dessous de la conception.
C'est à l'âge de sept ans
que m'atteignit précisément
le nom de mon plat favori
et je repoussai net l'assiette :
comment avait-on pu oser
me servir l’agneau de la foi
comme un vulgaire placenta
mi-cuit et saignant devant moi ?
3. Il est certes bien plus facile
infiniment plus agréable
de méditer la coïncidence
par laquelle rousse naquit
par une nuit de lune musse
notre fille deuxième enfant
après que j'avais prononcé
cherchant un peu de légèreté cette prédiction par jeu
pur sans y croire bien sûr
ou encore celle qui fit
qu'ayant tranché « un enfant cette
fois ne nous l'aurons que « par grâce »
— en riant cela va de soi ! —
je vis s'inscrire une séquence
de vie d'une incroyable force
au cours de laquelle fut conçu
en une seule nuit d'amour
par le plus fertile des hasards
à Grasse notre plus jeune fils
que de tirer les conséquences
de celle (coïncidence) par quoi
à l'angle des rues du Bon
Jésus et Sainte-Élisabeth
(prénom de, troublée, sa mère : sa
folie hantait nos dîners) tandis
que je marchais légère songeant
à la parution proche de mon récit L'accouchée — une ombre
s'abattit qui faillit me tuer
ou encore de celle qui fit
que je croisai l'homme du noir
neuf jours après la nuit de Grasse
et réveillée en pleine nuit
(le fameux trois heures et demie
que j'ai dit « heure de ma naissance »)
au lieu du rêve d'allégresse
m'assaillit un bloc de réel
qui faillit bien réduire en moi
ce que l’agresseur insensé
– que voulait-il ? je n'avais rien ! –
avait encore laissé intact
ou même renforcé je crois
me plaçant face à une épreuve
bien plus terrifiante et précieuse
que la plus immense des joies
mais dont on ne peut tirer leçon – on ne la salue qu'après coup
j’écris après cou et je ris ! —
il n'y a rien à apprendre d'elle
sinon que « résoudre » est à prendre
à la lettre — on la surmonte
par en dessous quand on voit sourdre
l'infâme piège psychologique :
la résolution est logique
mais aussi physique ou chimique
cela s'expose ou se dépose
en précipité poétique
ou bien se creuse : éclaircie vide
éclairant les corps et les vies
mais il faut bien (facile ou pas)
que se tirent les conséquences
du réel sailli du hasard
– que la saillie se fasse source
d'allégresse ou qu'il faille déjouer
un désastre – à ce prix seulement
à ce risque ce qui se tisse
– récit-poème –outrepasse
l'agrément des jeux de langage
(ces jeux mêmes qui participent
à la foire des communicants
au tout-se-vaut à l'euphorie
du libre-échange) et devient cette
active pensée : lancer
de dés forme opérante qui
saisie du Réel le performe
doublement exposée : au
trivial à l'idée –fulgurance
et intense lenteur ; par l'incise
se marque et se dit l'apparaître.
* hantée par chose elle était close
– avec elle cependant qui sut
(nous dit le conte du Joueur)
rallier et faire fuir les cohortes
obscures de rats se poursuit
l'invention d'une discipline
intuitive et rigoureuse
déductive et prédictive
(car la nomination appelle
ce qui non apparu se fomente)
offrant une égale attention
aux choses et aux mots en vue
d'une alliance inédite qui
transforme aussitôt et le monde
et la vie – où se conjuguent
éloge de la coïncidence
et déploiement en conscience
(telle une étreinte assumée) des
conséquences
Florence Pazzottu, j’aime le mot homme et sa distance, (cadrage-débordement), éditions LansKine, 2020, 200 p., 18€, pp. 77-83.
On peut lire cette note de lecture de Juliette Penblanc à propos de ce livre.
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