Les livres de David Mus sont presque toujours associés à la marche à pied, à l’état de qui-vive que peut procurer cette activité, état toujours prompt à transcrire les premières proximités. Ce poète nous a habitués dans chacun de ses livres à un vers en déploiement constant, qui s’ouvre au jour, à l’espace entier de la page – comme une peinture en quelque sorte –, avec des phases de répit, des saillances, des aplats si l’on veut, et des concentrés de pensée plus ou moins alerte.
Ce nouvel opus publié à Rome chez Empiria, contribue au genre « français » des livres « sur Rome », initiés par Du Bellay, poursuivis par Stendhal ou encore Zola. On décèle comme un retour aux fondamentaux, bien que, et il est capital de le souligner, de livre en livre, ils n’aient jamais été perdus de vue chez ce poète : rendre visible et conjuguer la parole à l’expérience d’un quotidien qui n’a de cesse d’aller de l’avant. Une grande discipline est imposée dans ces 22 « Tableaux romains » et un exergue, écrits entre 2015 et 2018 ; moins d’étal, de largesse, d’amplitude dans la versification.
On ne rivalise pas avec
Gaspard Dughet
(…)
Poussin peint dans son frigo
l’air humide
qu’éclaire l’ampoule mais
voici au fond
de la sépulture de marbre
des Colonna
deux bergers un frais matin
attendant
le soleil tout neuf au bord
d’un étang
(…)
Dans leur manière de faire affleurer une fraîcheur perçue de plusieurs siècles en arrière, une fraîcheur qui infléchit la pensée pour lui donner un rythme, une maîtrise, en même temps qu’une sérénité que seule l’expérience du temps apprend, ces Tableaux romains pourraient constituer le pendant contemporain – une cinquantaine d’années les séparent – des Tableaux d’après Brueghel de William Carlos William. Dialogue avec les représentations, les arts connexes, les saints qui inspirent, tentatives de monter en épingle la vivacité fixée dans du marbre, ou dans un tableau, dans ce que le poète (en immersion continue dans sa ville élue) aura croisé de palais, de sculptures, d’églises, sa vie durant. Tout cela, comme né d’une seule et même grande saison, qui aura mûri dans la conscience aigüe du promeneur pour lui procurer un grand bonheur de composition. Une rectitude manifeste, candeur aussi, et qui n’est rien d’autre que le résultat d’un effort de parole sans cesse dirigée vers l’évidence, à l’image même de la nouvelle ligne du métro romain « C » qui, après de multiples difficultés de construction, fréquente désormais de quelques pieds sous terre les foulées romaines du poète.
Aucun interdit bien sûr, pas plus que de recommandations, à lire un poème à la lumière de son référent, ou à regarder un tableau au timbre du détournement verbal du poète, l’opération est à double sens, nous fournissant avant tout une aide pour « voir » et prendre conscience de ce qui entoure, de ce qui est bel et bien présent, dehors plutôt qu’ailleurs1 dirait David Mus, et toujours « en-avant de soi » selon André du Bouchet.
A un second niveau de lecture, on pourrait envisager que ces « Tableaux romains » aient semble-t-il été écrits pour susciter des vocations. Le rythme du poème se calque par évidence sur l’essuie-glace que font les yeux qui observent chaque centimètre carré d’une toile peinte, ou pourquoi pas d’une mosaïque, sur les mouvements de la main qui palpe le stuc pour en sentir le lisse ou rugueux qui traverse les siècles. Une « école de la sagesse » devenue « école d’art », où des étudiantes « à reluquer » ont remplacées les moines.
Mathieu Nuss
1 Dehors plutôt qu’ailleurs, Julien Nègre éditeur, 2016
David Mus, Tableaux romains / Quadri romani (introduction de Fabio Ciriachi), éditions Empiria (Rome), 2018, 96p., 12€
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