Lorsqu’il commence un poème, un bref poème, Lucien Noullez donne l’air de ne pas y toucher ; mais seulement l’air, et très provisoirement, car un peu plus loin va surgir, qui n’a pas prévenu, l’image ou le mot inattendu, comme un intrus qui viendrait faire tache dans une assemblée jusqu’alors banale – ou sage. Et c’est sur ces pas de côté, ou crocs-en-jambe, prenant le lecteur de court en cassant l’apparente simplicité par laquelle il le conviait, que se fonde l’art, inimitable, de Lucien Noullez.
Reste qu’il est toujours question, dans ses poèmes n’excédant jamais une petite page, de choses minuscules, mais de ces choses, prosaïques ou spirituelles, qui, chaque fois, vont précipiter le lecteur dans d’essentielles interrogations. Spirituelles, oui, car la fréquentation de Dieu et la Foi appartiennent au quotidien du poète qui les évoque avec autant de tendresse que de recul, de familiarité encore, ne s’interdisant ni d’en rire (en riant le plus souvent de lui-même) ni de douter – « J’ai encore perdu la foi » écrivait-il dans un précédent recueil.
J’ai envie de dire, et je ne pense pas pousser le bouchon trop loin en le disant, que chaque poème de Lucien Noullez est une prière. Et non, pas une prière païenne, car ses prières sont explicitement chrétiennes, mais tellement humaines, tellement semées de fantaisies, de questions élémentaires, prières candides, et en cela universelles – aussi chargées de sens pour « Celui qui croyait au ciel » que pour « Celui qui n'y croyait pas ». Des prières « Je ne veux pas de ton gnangnan, Seigneur », ce Seigneur, ce Dieu qui « a créé aussi / cette grandeur de ne pas croire en lui. » Un intégriste aurait vite fait de voir en lui un hérétique !
Ce qui fait l’intérêt et le prix des poèmes de Lucien Noullez, c’est que l’homme, plus encore que le poète, y est ; je veux dire qu’il est entièrement dans chacun de ses poèmes, qu’il s’y trouve vraiment, vrai de vrai, sans posture ni chichis, tout d’humilité et d’ébahissement face au mystère jamais épuisé de la vie et du monde, et avec la conscience de notre importance dérisoire, mais une conscience suffisamment libre pour ne jamais verser dans les excès artificieusement fabriqués que l’on rencontre trop souvent ailleurs.
Considérant l’étrangeté de la chose vie, Lucien Noullez est le plus souvent goguenard, bonhomme, fuyant prudemment les grands mots et les développements alambiqués pour nous confronter, par des rapprochement apparemment incongrus, à des étonnements filés au-delà de la métaphore. (Poésie « vraie fille de l’étonnement » disait Saint-John Perse ; « exercice d'étonnement » dit Lucien Noullez.)
Lucien Noullez est ce poète qui sait que l’homme n’est pas grand-chose, mais que « cet à peu près rien / écoute les oiseaux. »
Lucien Noullez est ce poète qui se sait « presque rien dans l’univers immense » où il vit dans une « douce inquiétude ».
Lucien Noullez est ce poète qu’on présentera sans doute plus justement en citant, par exemple, ces six vers :
« Je marche dans mon corps en me cognant / aux vitres, comme jadis à la foire »
« une impression / carabinée de ne rien ressentir »
« J’ai envie de m’éteindre. // […] mais je ne trouve pas le bouton. »
P.-S.- Si Lucien Noullez lit et apprécie Richard Brautigan, je l’ignore. La miraculeuse simplicité de Brautigan n’est donnée à personne, et ses épigones francophones s’y sont, pour leur plus grande part, cassé les dents. Pour exceptions, je citerai Daniel Biga (qui lui aussi écrit des prières, certes païennes – ou, plus exactement, panthéistes), Pierre Tilman et Roger Lahu. Qui d’autre ? Eh bien, Lucien Noullez – qui, peut-être, ne l’a jamais lu.
Bernard Bretonnière
Lucien Noullez, Tout peut commencer à trembler, poèmes. Clichy, Éditions de Corlevour, 2020, 93 pages. 16 €.
Extraits
Bernard Bretonnière ayant pris la peine de donner de riches extraits du livre, Poezibao les propose ici eu format PDF à ouvrir d'un simple clic sur ce lien.
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