Poezibao publie aujourd'hui deux notes de lecture autour de L'intime dense de Pascal Boulanger, la première signée Claude Minière, la seconde Guillaume Basquin.
→ Note de Claude Minière
Après la parution d’une volumineuse anthologie on pouvait craindre que l’auteur ne mette la clef sous la porte. Non. Il s’est retiré en Bretagne, près du Mont Saint Michel, et là, porte grand ouverte sur le proche comme sur le lointain. Pascal Boulanger est de la lignée des Hopkins, Hölderlin, Claudel,… de ceux de la jubilation labile du monde. De ceux qui disent et montrent qu’esprit et matière sont une même, une seule chose quand.
« Quand elle lui dit
Vous serez mon invisible compagnon
elle se dévoile
pénétrée de silence
& donne au sommeil
ses lèvres humides.
De sa nuque à sa taille
la partition se livre à la pente lumineuse
où ses doigts se noient
en marée haute. »
Le frais recueil que publient aujourd’hui les Editions du Cygne, de 40 pages offre trente-huit « épiphanies », plus un poème –envoi de deux pages (Poème pour Alma), « Précieux petit trésor tu sens, tu entends déjà », pour accompagner l’avenir d’un tout jeune être.
Une autre épiphanie pour la route ? Voici, dans l’évidence :
« Ainsi le même monde inchangé changé par le vol des oiseaux
brisant les murs de granite dans l’euphorie du ciel débordant
de bouches où l’on aime se coucher ainsi l’odeur qui monte mer
& sable aux algues violettes glissant sur le tapis en poussière
virtuelle ainsi esprit & matière sont une même chose quand jour
se lève et s’éteint aux doigts souples des vagues. »
Claude Minière
*
→ Note de Guillaume Basquin
Très imprudent, et on en avait parlé ici même (Jusqu’à présent je suis en chemin — Carnets), Pascal Boulanger avait annoncé lors de la parution de son « Anthologie » poétique que celle-ci clôturerait son œuvre de poète… Sa retraite en Bretagne en a décidé autrement : ce sont les ciels, les paysages, bref la Nature qui ont décidé (pour lui), bref qui l’ont écrit ; « Je » n’est pas qu’un autre, car « ici n’est jamais où je suis » …
Ce nouveau recueil, dense ainsi que l’annonce son titre, est dédié à Hölderlin. À le lire, on comprend vite pourquoi : omniprésence de la Nature, de la promenade élégiaque, et du bleu (du ciel, le plus souvent) : « Trop évident ciel / sa beauté d’être bleu / inonde celui qui voit » ; « en bleu l’école de ses yeux » : en bleu adorable ! « Le ciel devient / comme la maison du peintre » ; et Boulanger use et se régale de cette nouvelle palette : « tout le lointain / […] ressemble à du feu ».
Parfois, l’hommage au poète allemand devient carrément frontal :
« Gardant soif
près de la belle Garonne
avec le souvenir là-bas
de Diotima
le menuisier du sens oublie
que le temps existe
il ne compte plus les jours de la vie
[…] »
L’exil de Boulanger hors de la Grande ville (Paris, temple de la marchandise, clame-t-il souvent), comme celui du poète romantique allemand dans sa tour de Tübingen, est définitif : il n’y aura pour lui pas de retour possible : il faut déchirer « l’espace vulgaire / dans l’amour comme sortie du monde ».
Forcément, Nietzsche rôde : « Christ & Dionysos / Hölderlin & Nietzsche se sont brisés / sur un silence / sous la voûte noire. » On ne badine pas si facilement avec « l’ensauvagement des dieux » !… Et Rimbaud, qui a « réinventé l’amour », n’est jamais très loin, l’air de rien : « Il est temps de nager en enfance » ; « un chant s’époumone au ciel », « quand tout le bleu de ces yeux / […] par l’encoche d’un parfum / abrite un monde en colloque de colombes », etc. Continuer à dérouler ces influences serait comme prouver qu’il fait jour, quand le soleil luit. Vivement les prochaines nouvelles de l’œuvre poétique de Pascal !
Guillaume Basquin
Pascal Boulanger, L’intime dense, Éditions du Cygne, 2020, 54 p., 10 €
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