Marc Blanchet et Isabelle Baladine Howald
entretien autour du livre Le Pays (Editions La lettre volée)
Cours camarade, le nouveau monde est derrière toi !
Le Pays de Marc Blanchet à La Lettre volée est un livre de poésie politique implacable. N’y cherchons pas quoi que ce soit de notre pays en particulier, d’une identité définie. Quoique… toute ressemblance ne serait pas totalement fortuite non plus, mais essayons de voir loin. Il s’agit plutôt de l’état du monde, l’état de l’intérieur du monde et de l’état exsangue des humains. On a dépassé colères et révoltes. L’utopie est derrière. Cours camarade le nouveau monde est déjà derrière toi, l’injonction date de 1968 sauf qu’il s’agissait du vieux monde… Ce livre oblige, dans le meilleur sens du terme, à une lecture lente, voire à plusieurs lectures, une fois le saisissement mis de côté.
Nous avons eu envie de proposer cet entretien à Marc Blanchet, merci à lui d’avoir accepté.
IBH : - Marc Blanchet, vous avez publié récemment Le Pays, à la Lettre volée.
Un livre que je trouve très politique, largement au-delà des frontières nationales, quelles qu’elles soient. Il aurait pu peut-être même pu s’appeler Le Monde…
J’aurais envie de dire, après lecture et relecture, que c’est un peu le livre d’un 1984 qui serait là, peut-être même déjà dépassé. Tout ça a peut-être déjà eu lieu…
Mais tout d’abord, comment et pourquoi est venu ce livre, après la vingtaine d’autres ouvrages que vous avez publiés ?
MB : - Bien que je ne me souvienne plus exactement de la genèse du livre, l’écriture du Pays s’est faite au cours de plusieurs années et correspond à un profond changement dans mon lien à la poésie. Ce livre est né d’un désir de plus de simplicité, qu’il faudrait préciser, mais dont je peux dire qu’il est apparu de manière manifeste à la suite de la parution des Naissances au Bois d’Orion. J’ai eu l’impression d’arriver à la fin d’une période, sentiment doublé d’un rapport critique à mes contemporains comme à moi-même ! Il me fallait trouver un chemin de crête, mais au plus près de la terre. Une chose est sûre : quand j’écris de la poésie, tout devient plus « grave », l’humour, s’il y en a, est plus acide ; de fait, une ironie traverse ces poèmes, elle ne m’épargne pas. Souvent je me dis que j’écris juste pour repousser l’heure de ma mort.
Pour parler de la genèse du Pays, il y eut donc à l’origine une « crise de vers » ; elle a connu un moment de suspension puis s’est accordée soudain à son époque.
Ce que je sais, de manière plus circonstanciée, c’est qu’en 2007 Nicolas Sarkozy a été élu, et qu’en le voyant faire son jogging (dont le but était de bouleverser la figure présidentielle en France), j’ai eu l’impression de vivre un rêve éveillé. La prétention de l’homme se doublait d’un discours agressif, chose à laquelle nous nous sommes habitués depuis, non ? Je veux dire : pas seulement avec lui. Dans notre pays, il existe également, depuis plusieurs années, un esprit milicien que cette période traduisait déjà.
C’est pour cela que le premier poème dit : « Vigiles et milices / Visages mêlés / Voici la nouvelle population des rues. » Des formes d’obéissance et de mobilisation populaire commencent côte à côte le recueil. Je ne pensais pas qu’elles ouvraient alors un livre de « poésie politique » d’une telle ampleur. Ensuite je n’ai eu qu’à suivre mon époque : autorité, contrôle, asservissement, manipulation, et toujours cette violence, qui oppose dominants et dominés. Mais pas de dualité, d’opposition tranchée pour moi. C’est bien l’homme dans sa totalité qui est présenté ici, au pouvoir ou dans la rue, toujours enclin à la violence, ce qui peut donner une gouvernance autoritaire d’un côté, et un vote extrémiste de l’autre.
Tout ce livre est une tenue des contraires. Et par là-même le désir d’indiquer combien l’homme vit dans un manque de conscience, qui peut l’entraîner dans des comportements serviles comme dans l’action d’un pouvoir où il s’agit d’imposer tout et rien sous le prétexte d’un « progrès » des lois. Le livre dès lors est un portrait de notre temps. Il raconte par le poème – il l’espère du moins – une « conscience d’époque ». Toutefois pas de colère, de coups de gueule, de croyance instinctive en la révolte. C’est plus subtil que ça.
C’est un livre politique, pas de la poésie engagée. Il parle du monde, mais ne pouvait s’appeler avec son P majuscule que Le Pays, étant ainsi une critique des formes sourdes de la domination, disons du côté de l’Occident. Néanmoins, je serais heureux qu’il puisse signifier quelque chose pour quelqu’un en Asie, au Moyen-Orient ou en Afrique. Peut-être parce qu’il parle du genre humain dans notre monde moderne, et qu’il lui est de fait adressé, en toute fraternité (je n’aime pas Villon pour rien) … et vigilance.
Pour lire l’intégralité de cet entretien, proposé ici au format PDF plus facile à imprimer ou à enregistrer, cliquer sur ce lien.