Annie Salager publie Le Chant du terrestre aux éditions de La Rumeur libre.
SUIS-JE
Si peu de réalité en nous
pâlie d’abîmes questionneurs et
avivée des plus lointaines sources,
si peu de nous en nous parfois
qui en la parole avons vie
habités par la mort et par
tous les fruits du désir et du rêve
où le temps nous invente
en se créant de nous,
dis-moi, toi qui sais peut-être,
suis-je bien une femme
posée là colorée de temps ou,
pareille à un passage d’hirondelles
dans le feuillage de ce chêne,
juste une trace dans le vent
où le doute et les émiettements
du vivre dans le temps qui s’effrite
se mêlent au plaisir d’exister ?
*
LIBELLULE
Ma vie
de libellule
dure trop
signifie-t-elle
d’un frisson
à peine vue
avant de disparaître
la toute belle
qui nous donne
à méditer
sa brève voie
comme envol
d’âme dont
chaque fois
elle nous
surprend
*
REVES D’AILLEURS
Aujourd’hui le fleuve s’élargit
pour murmurer un rêve, et
tandis qu’il envahit les berges
au pied des arbres inondés
endormis pour l’hiver, où il luit et déborde,
il pousse en vagues frémissantes
sa puissance paisible vers un ailleurs,
comme nous qui vivons même rêve,
et nous pareils à eux
fleuve ou ce ciel de lune,
tant de lointains passent en nous
d’un même rêve – il nous efface peu à peu –
tant de lointains qu’au ciel léger
arrondi de douceur la lune, invisible parfois
mais si présente quant elle est tout illuminée,
ressemble au rêve de beauté
vers qui nous envoyons depuis le fleuve
de nos vies des messages d’amour
Annie Salager, Le Chant du terrestre, La rumeur libre, 2021, 112 p., 16€, pp. 23, 52, 93.