Un poète qu’on découvre tout entier en une seule fois : Jean-Claude Barbé
Ce n’est pas tous les jours qu’on découvre, non pas un nouveau poète, mais un poète déjà parti, qui n’a jamais fait aucun bruit. Trop tard ou tant mieux, il a vécu hors des intérêts de la reconnaissance, il s’est contenté de vivre sa passion pour les mots, en les avalant en tant que lecteur et en écrivant sans relâche et sans songer à leur donner à tout prix une adresse. Foudroyé dès l’adolescence par Lautréamont, attiré par Pierre-Jean Jouve et par André Breton, il fait la connaissance de ce dernier alors qu’il n’a que seize ans. Le voici reconnu comme poète. Pourtant ces apparitions seront rarissimes, comme ses publications. Il est discret, occupé à des activités qui n’ont rien à voir, et continuant, comme pour lui-même, d’écrire au quotidien, « avec une incroyable facilité », nous dit son ami instigateur et préfacier de ce volume, le poète Pierre Vandrepote, qui le qualifie aussi d’insituable.
« Comme on extrait une dent en or de la gueule d’un requin
Soucieux de son sourire
J’ai expulsé de son antre une tanche à laquelle
Le gouvernement versait une pension
Pour avoir défendu la cause des moines
Qui laissent pousser des cheveux
Sur leur langue surtout le quatorze juillet
[…] »
À l’occasion, Jean-claude Barbé signifie qu’il n’a pas de vrai souci de forme, qu’il se contente de « rendre compte de ses rêveries », de ce que son imagination lui dicte. La revue surréaliste La brèche accueille ses poèmes à trois reprises ; la courte notice qui lui est consacrée dans le Dictionnaire du surréalisme et de ses environs (dir. Adam Biro et René Passeron, Presses universitaires de France, 1982) parle d’un « lyrisme à la fois familier et luxuriant », évoque un recueil prévu sous le titre Myriam praline, qui restera inédit, et signale que les surréalistes resteront sans nouvelles de Barbé après 1966 (année de la mort d’André Breton). Il disparaît pour de vrai en 2017.
L’édition que nous propose Le Réalgar a été préparée avec grand soin, elle présente un large choix parmi les très nombreux poèmes de Jean-Claude Barbé. On y trouve aussi des fac-similés de lettres d’André Breton adressées à son jeune ami.
Admirateur de Victor Hugo, Jean-Claude Barbé concilie volontiers la hardiesse imaginative et la rigueur métrique. Un certain nombre de ses poèmes sont en vers réguliers, souvent rimés, paraissant peut-être timides ou farouches, deux qualificatifs éventuellement appliqués à leur auteur. Poèmes narratifs qui ont l’air de contes improvisés, leur liberté de ton est bien réelle qui semble nous parler à voix haute, comme on parle à un proche. C’est dans un monde souvent enjolivé ou émerveillé que nous balade l’auteur de Bientôt l’éternité m’empêchera de vivre, un monde imaginé, décidément, mais qui n’oublie pas d’avoir les pieds sur terre, n’oublie pas la mort, n’oublie pas le présent.
« Qu’il sera beau le jour où nous mourrons
il y aura tes habits dans les arbres
ta chevelure aura des accents mystérieux
notre enfant ne sera encore que dans ton ventre
car il faut être jeune pour mourir sublimement
Nous mourrons tous les deux – tous les trois
où je mourrai tout seul si tu es
tellement mienne et cet enfant tellement mien
qu’on nous confonde dans les sentiers
Qu’il sera beau le jour où nous mourrons
j’imagine assez bien les oiseaux dans les branches
ils seront noirs comme je les aime et le bec
déjà dans le sang que ta plaie
perdra sur les cailloux blancs
des perles sur les galets
[…] »
Ce fort volume présente ainsi un auteur qu’on peut aborder d’emblée dans son ensemble, à travers le meilleur d’une œuvre qui n’avait pas songé jusqu’alors à se faire entendre. Pierre Vandrepote conclue sa préface en saluant justement la discrétion ou le pari secret de celui dont il fut proche : « [Jean-Claude barbé] a parcouru la part du chemin qu’il s’était assignée. S’il en est une autre qui doit être accomplie, elle appartient désormais à la chance anonyme. C’est dire qu’on n’a jamais donné autant la parole au lecteur. »
Jean-Claude Leroy
Jean-Claude Barbé, Bientôt l’éternité m’empêchera de vivre, Le Réalgar, 2021, 288 p., 25 €