Il semble que l’expérience de l’enfermement ouvert a été l’occasion d’écrire autrement pour Françoise de Laroque. Nous la connaissions comme critique et traductrice. Avec Chambre jaune, elle livre une série de courts moments autobiographiques qui ont été rédigés pendant l’un des derniers confinements. C’est donc son premier livre de création.
Sept proses brèves composent l’ensemble : « Portes et fenêtres », « On ne montre pas du doigt », « Mi-chemin », « Ciel ! », « Adjectif verbal », « Fruits » et « Jaune », qui se termine par l’énoncé suivant « Ici chambre jaune ». L’action se passe à Joigny, dont les églises, le fleuve et les figures locales sont cités. Le personnage principal est un enfant, dont le geste de montrer du doigt est scruté et analysé. Des motifs (la distance, la séparation) sont travaillés, ainsi que des affects (la douleur notamment, dans sa dimension « directe » ou « indirecte »). Le parti-pris des objets donne toute son importance à l’agenda, dont l’origine latine (ce qui doit être fait) réactive l’expérience du vide qui fut propre au confinement. Mais si les pages de l’agenda sont « restées blanches », « sans rendez-vous », « Ni dîners », « Sans les prénoms des amis à l’heure de la rencontre », « Sans les titres des films » durant ces mois exceptionnels, celles du cahier ou de l’ordinateur ont été remplies par les réflexions suivantes, qui témoignent de ces actions répétées et ritualisées qui furent les nôtres jour après jour durant la pandémie : « Pages blanches, donc. N’ont pas noté les répétitions. Les promenades. Cinq ou six itinéraires pourtant. Quatre le long de la rivière. Deux avec des variantes dans les collines jusqu’au bois. Les jours du quatre-quarts au goûter. Ou de la tarte aux pommes. Les films du soir. Jamais les mêmes". Des pages blanches qui auraient oublié l’essentiel, essentiel que cette Chambre jaune, elle, recueille avec évidence et simplicité : « N’ont pas noté les floraisons. […] N’ont pas noté les couleurs. […] N’ont pas noté l’apparition des chatons sur les branches ni leur structure différente selon l’espèce des arbres. […] N’ont pas noté la naissance des feuilles. […] N’ont pas noté les chants d’oiseaux. […] N’ont pas noté les parfums. […] N’ont pas noté les progrès de l’enfant ». Ainsi rien n’a été immobile durant ces semaines contraintes et arrêtées. Le flux du vivant humain, animal et végétal, s’est poursuivi, comme en témoignent la peau des fruits et la peau des hommes qui, en miroir, se rident et s’épaississent au fil du temps. Si la main sent et caresse ce vieillissement, « Les mots [sont] trop vastes » pour dire avec précision ce toucher qui rencontre « l’arrondi ferme, le creux sans mollesse, les zones tendres, le glissement uni de la main ».
Le dernier texte, « Jaune », réfléchit à ce qu’est une couleur et aux circonstances nécessaires pour qu’elle soit identifiée comme telle. Approche philosophique et esthétique, digression historique, remarque linguistique, anecdote malicieuse tournent autour du « Jaune » qui qualifie cette « chambre » – autre Mystère de la chambre jaune ? –, dans laquelle furent peut-être composés ces textes. Comme elle imagine des « soieries de noms », Françoise de Laroque met au point une langue à la fois incarnée et distante, précise et attentive, singulière et littérale, qui révèle la part de fiction que recèle le quotidien le plus circonscrit. Le ciel et la ville constituent des scènes sur lesquelles tout geste se détache et appelle à une forme de lecture redoublée en une attention d’écriture. Comme Françoise de Laroque le notait dans un très beau texte consacré à Anne-Marie Albiach, il s’agit pour l’écrivain de trouver « l’alphabet particulier de chaque chose qui se lève ». Ici, ce n’est pas une chose, mais bien une voix qui se lève, accompagnant chaque signe écrit d’un timbre absolument unique.
Anne Malaprade
Françoise de Laroque, Chambre jaune, Eric Pesty Editeur, mars 2022, 20 p., 10€
On peut lire d'autres extraits et une courte présentation du livre sur cette page de Poezibao.