Jean-Marie Gleize publie Dans le style de l’attente dans la collection Al Dante aux Presses du réel.
Incipit du livre :
1. A LA CLARTÉ DE L’ENCRE
J'écris ces lignes à Tarnac. Gris sur gris, à l'arrière sous le mur.
J'ai su que ce n'était pas mon nom. Mais le nom de plusieurs. Sur beaucoup de pierres. Au bout de la pente, à droite dans l'allée, ici.
Et dans beaucoup d'autres points de l'espace que je ne connais pas.
Il n'y a donc pas de nom propre.
Je vois ce qu'il signifie ou même ce que le nom recopie. Lettre à lettre, le mot église. Je suis donc contenu dans ce mot. C'est là que j'habite. J'y reste, j'y deviens.
Partir de la lisière du bois.
Suivre cet ancien lit de ruisseau. À peine visible.
Passer sous les basses branches des aulnes.
Marcher sur la grande voie d’herbe vert qui coule entre les feuilles.
Fouler les orties et les valérianes
(il récite et recopie quatre fois cette enfance)
« je recopie plusieurs fois mon enfance dont je ne sais rien »
L’encre est de plus en plus claire.
Celui dont le nom s’efface avait acheté ce livre le 31 mai 1928.
C’était la dernière pluie de printemps.
Tous les jours à la première heure de l’angélus il ouvrait son cahier d’écolier, il notait la date et le nom de saint au calendrier. Il écrivait une ou deux pages de sa vie, brève médiation quotidienne à l’encre bleue. C’était comme une prière.
Alors il commençait la lecture de son livre.
Sur son cahier noir il avait écrit ces mots
« ne se sont (jamais) habitués »
Il voyait maintenant sa mort à la couleur des choses.
Et, sur la page suivante
« J’aimais cet endroit isolé
et cette odeur fauve qui fuit des terres pourrissantes,
saturées de feuilles,
Partout des ardoises jetées sur le sol, enlevées par le vent
les cris des oiseaux qui traversaient l’épaisseur de silence
le long des chemins,
une pierre fleurie de lichen couleur d’orange et de soufre,
un arbre fendu, penché sur le bord
je respirais mal
je voulais me coucher dans ce lit de fougères »
Souligné, en bas de la page
Mais « d’où vient-il ? »
Il continue d’écrire alors que la nuit tombe. Il serre son écharpe grise autour de son cour. Le cahier noir glisse et tombe.
« S’il vient ou revient, il ne fera aucun bruit »
Il attend qu’il revienne. Qu’il monte comme lui l’escalier de pierre. Qu’il long le couloir jusqu’à la porte vitrée et qu’il entre dans sa chambre aux rideaux moisis. Ou dans sa cellule. Tout en suspension dans la poussière du soir.
« Il viendra sans que je le sache ».
Il est inutile de chercher à me rencontrer.
C’est la biographie de personne.
Au fond de son œil un reste de lait. Il ne voit plus rien, la nuit est tombée.
Lèvres sèches, il attend
(...)
Jean-Marie Gleize, Dans le style de l’attente, coll. Al Dante, Les Presses du Réel, 156 p., 17€, pp. 9-16.
Sur le site de l’éditeur
« Ce livre n'est pas un recueil, mais le déploiement, en treize chapitres, d'une seule et même question, celle du nom ou du sans nom (‘pas de nom propre’). Et cette question est explorée à travers les débris d'une enfance marquée par l'obsession du retour : ‘Il viendra sans que je le sache’. Mais qui ? Celui d'abord qui était revenu sans revenir et pour qui ‘il n'y a pas d'après-guerre’, et qui parle à l'intérieur du corps de celui qui écrit. Et l'Autre, qui ne cesse de faire sourdement appel dans le bruit des cibles et des rituels, invisible et caché dans le nom. Ce qu'on nomme la ‘poésie’ (ou parole brisée) célèbre ici la disparition des images, ‘jusqu'à ce que l'écran se vide’. Ou la mémoire. Tout se passe ici, en temps réel, dans le style de l'attente, en noir et blanc. Un livre, comme une photographie qu'on déchire. »