Les éditions Tarabuste publient Erre, ouvrage posthume d’Antoine Emaz. Il en a été beaucoup question dans la première journée du colloque Antoine Emaz, l’épreuve élémentaire de soi, qui s’est tenue à Lausanne ce 9 novembre. La deuxième journée et la soirée auront lieu jeudi 17 novembre à Nanterre et à Montreuil. Les intervenants et éditeurs d’Antoine Emaz ont insisté sur le fait que le poète élaborait six ou sept états de ses livres, avant un définitif feu vert sous la forme d’un « ça tient ». Pour Erre, il n’aura pu mener à bien que deux états successifs.
7.07.2018
le mot comme ce qui reste du geste
du temps pris
du temps pris
ralenti dans un geste
du temps aujourd’hui
un gest a pris le temps
très lent
quelque chose comme
sédiment
ou du temps sable
mais pas seulement
cela ne suffirait pas
pour doucir
autant
quelque chose bouge doucement
vivre ou tremble
comme les feuilles de l’acacia
(9)
*
du temps qui reviendrait
doucement ensabler
maintenant
maintenant le présent
l’empêchant le freinant doucement
dans cette fin de soleil
sur la peau
usée couturée
qui ne demande rien d’autre
qu’à être là
surtout pas rajeunir
revenir surtout pas
là seulement
mais du temps déposé
également
(11)
*
on ne va pas reprendre le fil
il s’est dénoué
on va dans le dénouement
et c’est tant mieux
doucement
et tout ce qui s’est perdu
l’est
et tant mieux
tant pis
aucune importance même si
le corps rappelle le temps
mais pas maintenant
aucune importance
il faudrait dire aussi
le silence
comme
ce qui n’a plus besoin de mots
(13)
*
21.07.18
le soir maintenant la nuit
leur rabot
poèmes sciure ou copeaux de vie
ne pas demander trop davantage
mais ça
oui
on peut
après
les histoires de beauté
si on veut
et si rien
alors le poème peut aussi se perdre
avec tout le reste dans l’air du soir
la lumière sans mots mais là
ou bien la nuit c’est égal
aucune importance
/
on finit quelque chose
sans bien savoir quoi
peut-être seulement
un bout de temps
mais on finit
et c’est cette fin que la lumière le soir
ou le noir de la nuit
parviennent à effacer
absorber diluer perdre dissoudre
dans du plus vaste
la fin du jour est bonne à prendre
rien d’autre à dire
(40-41).
Antoine Emaz, Erre, Tarabuste, 2022, 160 p., 16€
Un exemplaire de tête est disponible, un tirage limité à 30 exemplaires sous étuis accompagnés d'un dessin original de Djamel Meskache, Tarabuste, 150€
En fin de livre, on peut lire cette note de Anne-Sophie Petit-Emptaz :
En face de seul
Ceci n'est pas un livre au sens d'un livre relu et achevé, tel que le concevait Antoine Emaz.
L'expression Tas, temps, utilisée vingt ans plus tôt, reste valable: le constat se double d'une injonction implicite, le tâtonnement se fait dans la durée.
Au final, seul le titre avait été arrêté. Il existait au départ trois, voire quatre titres provisoires : Été-Là, Reste, Erre(s). Erre est bien celui qui a été retenu. C'est la deuxième version du texte que nous découvrons, à l'exception de la fin ; à partir du poème du 13-09-2018 de nouvelles pages, non corrigées, viennent s'ajouter à ce qui a été remanié une première fois.
Dégrossir, puis « menuiser » comme disait Antoine Emaz, et, en dehors de quelques ajouts, c'est bien l'essentiel de cette relecture consistant ici à supprimer du texte. Si la première version comptait environ 220 pages, il n'en reste que 150 dans la seconde.
Souhaitons que, malgré son inachèvement, Erre ne laisse pas indifférents ceux qui le liront. Le texte s'inscrit dans la continuité d'une poétique émazienne et témoigne du cheminement de l'auteur dans les derniers mois de sa vie, au jour le jour – en face de seul. Raisons pour lesquelles a été prise, avec l'éditeur, la décision de publier cet ensemble : le voilà maintenant aussi face à ses lecteurs.
Anne-Sophie Petit-Emptaz