Comme si chaque poème était une adresse ou un portrait esquissé sur le coin d’un mur, dans une ville qui les contiendrait toutes. Dédicacés, ils sont. Un nom propre que l’on reconnaît ou, au contraire, qu’on s’étonne de ne pas connaître. Fabien Sanchez n’écrit pas compliqué, il rabote ses vers au plus près des mots, lesquels s’ajoutent avant de s’empiler, avec justification par le milieu. On se dit que disposés en prose, cela fonctionnerait aussi bien, parce que l’important est dans ce qui est dit, et c’est comme si la forme-vers faisait ici perdre en nervosité, ce texte ou cet autre, mais il s’agit, en ce cas, plutôt de se poser et de considérer.
Fabien Sanchez raconte sa vie, ses goûts, son existence, ses amitiés, dans un journal qui se déroule au fil des pages, chaque page étant le feuillet d’une éphéméride que la couverture réunit, le rythme des jours et des nuits en constitue la vraie reliure.
Nommé ou pas, le dédicataire apparaît, comme une photographie qui s’étirerait dans un murmure au son de cuivre. Le jazz déroule ses affiches et ses soirées ambrées : Sonny Rollins, Archie Shepp, Wynton Marsalis, Mal Waldron, celui-là même qui, dans sa jeunesse, accompagnait Lady Day, une « esclave de l’amour / qu’elle libéra sur parole » qui ouvre le recueil (avec ainsi de même un clin d’œil à La mémoire et la mer de Léo Ferré) dans un poème qui pose la question :
« Quel destin sera le mien si je lui échappe ? »
Sans nommer John Coltrane, Sanchez indique la présence du génie qui suffit à la sienne.
« […]
Dérive de ta mise à l’abri
et de cet éloignement
de ce qui blesse,
sans mettre en repos
ce corps à corps
de soi avec soi.
Bientôt, le spécial de minuit.
C’est un jour de moins
augmenté de soi
C’est qu’il s’agit de guérir est
toujours la vie. » [p. 17]
C’est un existant imprégné d’une époque, imbibé des musiques et des voix (Dylan, Cohen, Reed, Manset, Ferré, etc.) qui livre son agenda de lecteur et d’auditeur urbain, arpentant les rues de Paris avec des livres dans les poches. Perros, Blanchard (André), Reverdy, Bastard, et même ce vieux grognon de Jerphagnon. On voudrait des accrocs, mais non, la vie coule sur la voie centrale, l’auteur reste serein, sans qu’on sache si c’est là une sagesse.
« […]
Il n’est d’espoir que permis,
et plus rien de moi n’est sans libertés
qui toutes ont leurs saisons.
Je reçois, abrite et évite bien des climats.
Les autres ont leur raison,
je n’ai plus la mienne.
Toute solution est dans sa dissolution. » [p. 80]
Fabien Sanchez écrit aussi des romans, des nouvelles, c’est un prosateur jusque dans le poème, il ne perd pas son lecteur des yeux, on peut le croiser dans différentes maisons d’édition telles que La Dragonne, Al Manar, Tarmac, Les carnets du dessert de lune. Et enfin ce recueil chez Lunatique.
Jean-Claude Leroy
Fabien Sanchez, Arden proche, éditions Lunatique, 152 p., 2022, 16 €