Alexis Pelletier propose ici une lecture du livre « Les Fulgurés » de Pierre Drogi
Le pas de Pierre Drogi
Les Lieux-Dits viennent de faire paraître un ouvrage de Pierre Drogi : Les Fulgurés. Il comprend deux parties : la première a donné son titre à la publication mais s’écrit sans majuscule « les fulgurés ». La deuxième donne une sorte de contrepoint ou de contrechant à ce titre et s’appelle « cahier de berce ».
Que sont ces fulgurés ? Ou qui sont-ils ? La réponse est incertaine et elle fait partie de ce qui conduit à reprendre au commencement une fois arrivé au terme de la lecture. Il me semble que c’est tout ce qui résiste à la destruction que l’époque s’applique à mettre en œuvre. Parmi ces énergies résistantes, ces lumières qui brillent, passent des références comme l’Olympia de Manet dans sa « nudité singulière » ou des phrases du poète roumain Gellu Naum. Cependant, Pierre Drogi nomme aussi – et peut-être de façon plus viscérale encore– ce qui vient du corps ou ce qui vient de l’observation de la nature. Jamais pour une célébration mais plutôt pour circonscrire l’aire de résistance, non sans une certaine mise à distance qui effleure dans les « Notes pour un miracle consciencieux ».
Il s’établit alors une sorte de dialogue au sein du poème, qui tient des variations de l’énonciation et qui aboutit à ce constat : « située à l’épicentre de la / catastrophe ? / je est un point / exposé / profondément / parfaitement affecté / – dans la lumière – / par l’effondrement de tout ce qui n’est / pas pouvoir d’argent / ou pouvoir ou argent . / ce qu’on voit c’est – se réjouir – sur la ruine du monde » (p.15.) Il conviendrait pour rendre justice à cette longue citation de reproduire la disposition sur la page qui, centrant de façon non systématique les vocables, renforce ici l’impression de solidité du texte. Elle me semble constituer le cœur même de ce que Pierre Drogi met en place dans son face à face avec le réel. Elle dit, en tout cas, le refus de tout ce qui participe de l’illusion contemporaine. Elle peut le dire parce que la marche du poème l’entraîne ailleurs.
En effet, le « cahier de berce » poursuit ce chant comme déchanté et permet au poète de s’exclamer dans un sentiment de nouveauté presque : « Comme la beauté saisit englobant tout, / en nous ! » (p.34). Le « nous » qui se donne ici à lire est presque comme une figure de l’altérité revendiquée.
On se rappelle sans doute que la berce est une plante ombellifère dont on dit que l’étymologie remonterait à la famille de berceau, par analogie de forme entre la graine de la plante et le lit d'enfant. Le cahier peut alors se lire comme la berceuse des « fulgurés » après qu’ils ont scintillé avec brillance. Il pourrait même s’agir, dans toute cette deuxième partie, d’une berceuse à la beauté, en 6 stations. On y sent la « tendresse à regarder » le monde, à saisir à ce qui vient l’ouvrir, dans la conscience même de ce qui le menace ou plutôt dans ce que Pierre Drogi nomme « l’atterrante / précision de la lumière . » (p.38). Je suis particulièrement sensible, dans ce cahier, au passage du renard qui a « disparu sitôt perçu » (p.45). J’y vois peut-être une référence à la ruse, j’y entends un opéra de Janáček (La petite renarde rusée – mais c’est sans doute forcé), je sais aussi que c’est un fulguré qui reste, se cache, résiste et perdure, tout comme le fait, un peu après que « l’étranglement » du monde « par le sec » (p.49) a été nommé, la figure du chevreuil qui vient clore l’ouvrage.
Alexis Pelletier
Pierre Drogi, Les Fulgurés, Les Lieux-Dits, « Cahiers du Loup bleu », 56 pages, 7€.
On peut lire dans l’anthologie de poesibao un substantiel extrait de ce livre.